Laurent Terzieff [05:29:26]

La leçon de Tania Balachova

  • Odile Quirot
    Il y a aussi cette grande figure pour nous, qui est Tania Balachova, qui visiblement a compté beaucoup pour beaucoup de, d'acteurs de l'époque, pour vous, pour Michael Lonsdale, pour Claude Régy qu'elle a...
  • Laurent Terzieff
    Pascale de Boysson, oui, bien sûr.
  • Odile Quirot
    Pascale de Boysson, oui, bien sûr, oui.
  • Laurent Terzieff
    Oui, d'ailleurs Pascale était un peu à l'origine de ce cours. Parce qu'elle était au cours de Vitold au Vieux Colombier, enfin si mes souvenirs sont exacts elle a eu... oui, Vitold avait un cours au Vieux Colombier et c'est Pascale qui a amené Tania Balachova à être un professeur conjointement avec Vitold. C'est comme ça qu'a commencé le cours. Vitold aussi était un merveilleux directeur d'acteurs, extraordinaire, un des plus grands que j'ai connu. Et très vite, il y a eu un courant comme ça, parmi les acteurs. C'était une recherche du jeu intérieur : tout était basé sur le jeu intérieur - évidemment très dérivé de Stanislavski. Mais ce qu'il y a de formidable chez Tania, c'est qu'il n'y avait aucun dogmatisme dans son enseignement alors que chez les stanislavskiens en général, c'est très dogmatique. Moi je pense qu'il n'y a pas de méthode. Je suis contre les méthodes. Ça serait trop facile, vous comprenez, de : premièrement, deuxièmement... Appliquer des grilles préfabriquées sur n'importe quelle pièce, ce serait trop simple. Et je pense, par contre qu'il faut inventer une méthode, que chaque texte réclame une méthode ; l'invention d'une méthode spécifique, qui peut être le contraire de celle qu'on a trouvée pour un autre auteur. Enfin, pour en revenir à Tania, il n'y avait aucun dogmatisme. C'était une humaniste. Je pense que c'est ça le problème des professeurs de cours, c'est qu'on tombe souvent sur... ou alors des gourous manipulateurs, ou alors des théoriciens formels, qui disent : « voilà, il faut, faut respirer comme ça, il faut parler comme ça, etcetera». Donc entre ces deux pôles-là, il n'y a pas beaucoup d'espace, sauf pour les humanistes, comme Tania Balachova. C'était une leçon de vie, ses cours. Moi, j'étais déjà comédien quand je l'ai connue. En fait, Tania, je l'ai connue par Pascale, et aussi parce que j'ai joué avec elle. On avait joué Le Prince d'Égypte au Vieux Colombier, et c'est là que je l'ai vraiment connue. Et il y avait une absence de rhétorique, ou de dogmatisme, vraiment très grande, très, très grande. Une fois, je me souviens très bien, je répétais une pièce au Petit Odéon, et elle avait son cours juste avant. Et j'ai entendu dire une chose, très juste, que il y a à l'intérieur même de n'importe qui, de chaque personnage vivant, des états profonds et des états superficiels, et qu'il faut tenir compte des états superficiels, des attitudes de comportement. Les stanislavskiens, en général, avant d'entrer en scène, c'est d'abord : qui je suis, d'où je viens, où je vais. C'est « comme si ». Non, justement, c'est pas comme ça dans la vie ! Dans la vie, on a des états profonds et des états superficiels.
  • Odile Quirot
    Mais il y a quand même une... S'il n'y a pas une méthode, l'acteur a quand même un outil qui lui est donné.
  • Laurent Terzieff
    Par exemple - Pardon, pardon, retenez ce que vous voulez me demander, mais je... Un exemple qui me vient à l'esprit. Buñuel : Buñuel, quand j'ai fait la la La Voie lactée... On avait beaucoup de sympathie, enfin j'ai beaucoup de sympathie pour lui, une immense admiration, et je crois qu'il avait une certaine sympathie pour moi. Et au bout de quelques semaines de tournage, il me prend par le bras et il me dit, vous savez, avec son accent merveilleux : « il paraît que vous êtes très bien dans le film». Je suis ravi, mais enfin pourquoi «il paraît» ? Il me dit : « parce que c'est la monteuse qui me l'a dit ». Et en fait, oui, il ne voyait pas les rushes. D'abord il faisait des plans séquences, et on coupait les claquettes, c'est tout. La monteuse n'avait aucun travail à faire ! A l'opposé de ça, j'ai entendu Welles dire, dans un film qui lui était consacré - lui-même le disait - il disait : « vous comprenez, n'importe qui peut poser une caméra, dire «moteur». Mais c'est au montage qu'on voit le metteur en scène ». Voilà ! Il y a pas une façon de faire du cinéma, il y en a mille.