André Engel [06:18:32]

Le « voyage » du «Week-end à Yaïck»

  • André Engel
    Par exemple, pour parler... le second spectacle après Baal était donc Week-end à Yaïck. Au départ, Week-end à Yaïck, c'était un poème de Serge Essenine, hein, un poème lyrique, si vous voulez, d'une trentaine de pages, qui était très beau d'ailleurs, avec une langue très bien traduit, une langue très belle. Je savais pas comment monter ça et puis... et puis tout d'un coup l'idée est venue de... d'imaginer... Enfin, c'est encore l'idée du voyage, si vous voulez, enfin c'est comme si ces personnages, imaginés par Essenine, nous pouvons éventuellement en retrouver la trace à travers un voyage initiatique. Puis j'avais été travailler à Djerba, à cette époque-là - je sais plus quelle année c'était - pour essayer de réfléchir à ce projet, et j'avais été frappé par le fait que... que les voyages organisés étaient une sorte de théâtre, si vous voulez, qui consistait à nous mentir, c'est-à-dire que on nous montrait simplement ce qu'on estimait qu'on pouvait voir. C'était ça un voyage organisé, c'est-à-dire c'était un mensonge, un mensonge économique et politique, c'est-à-dire que... que tout ce qui était... ce qui n'était pas agréable à voir ou pouvait donner une image, si vous voulez, déplaisante du pays, etc, était caché. Et pour le reste, on était très... mais absolument... c'était très difficile d'aller voir derrière, si vous voulez. Et, à l'occasion du travail sur... sur Un week-end à Yaïck, donc le Pougatchev de Serge Essenine, qu'on lisait beaucoup à cette époque. Et j'avais relu que Potemkine, pas le cuirassé mais l'homme qui lui a donné son nom, qui était à la fois un amant de la grande Catherine de Russie et un haut responsable, faisait faire des voyages à bateau sur le Don ou la Volga, par la tsarine, et tous les villages qui étaient sur les rives étaient faux, ce qu'on a appelé d'ailleurs des villages à la Potemkine, après, si vous voulez. Tout était faux. Le peuple était là ; il faisait déjà "hourrah, hourrah", comme vous savez Staline a beaucoup continué cette chose-là. Mais déjà, la grande... voilà, Potemkine avait imaginé, pour faire plaisir à la grande tsarine et lui faire croire que tout allait bien dans le meilleur des mondes. Il faisait du théâtre et derrière y avait rien. On voit ça d'ailleurs dans Tintin au pays des Soviets de Hergé, à un certain moment, sur une usine qui est faite en décor de théâtre, etc, etc. Bon, bref, tout ça tourne dans ma tête et tout d'un coup, j'imagine effectivement un voyage, un faux vrai voyage que le TNS (Théâtre national de Strasbourg) qui s'appelait donc TNS (Travel national service) organisait et, à l'occasion de ce voyage, un certain nombre de choses nous étaient montrées d'un pays qui était censé se situer au-delà d'un certain rideau de fer, etc, etc, etc.
  • Odile Quirot
    Là, vous poussez le bouchon assez loin puisque...
  • André Engel
    On le pousse très loin.
  • Odile Quirot
    donc le spectateur monte dans un bus...
  • André Engel
    il reçoit d'abord... il reçoit d'abord un ticket de théâtre qui est un ticket de... d'avion.
  • Odile Quirot
    D'avion. Il est pris en charge dans un bus. Dans ce bus, il y a des hôtesses russes qui parlent avec un fort accent, et puis on leur fait faire un tour dans la banlieue de Strasbourg...
  • André Engel
    Oui, on passe tout près de la frontière allemande.
  • Odile Quirot
    Voilà, qui tout à coup, j'imagine bien, prend dans la nuit, avec ce voyage, ce thème du voyage, une toute autre...
  • André Engel
    résonance, oui.
  • Odile Quirot
    résonance, et ensuite on arrive dans un groupe de HLM, des appartements où semblent vivre des êtres qui pourraient être des... des Soviétiques et...
  • André Engel
    Oui, ils parlent russe. Ils parlent pas un mot de français.
  • Odile Quirot
    Il y a des histoires de famille, y a un petit écran sur lequel est projeté le petit film d'après Essenine que vous avez tourné à Djerba - parce que vous avez tourné à Djerba, ce que vous avez omis de dire.
  • André Engel
    Oui.
  • Odile Quirot
    Donc là ça va très, très loin.