François-Bernard Mâche [10:53:10]

«Solstice»

  • Bruno Serrou
    Nous en sommes arrivés à une pièce qui s'appelle Solstice, qui était de 1975, et là, c'est la... est-ce que c'est la première oeuvre répétitive ?
  • François-Bernard Mâche
    Non, c'est pas une oeuvre répétitive à proprement parler mais c'est quand même une oeuvre qui tranche avec la plupart des autres. Je la concevais un peu comme un divertissement à l'époque, ce qui agaçait beaucoup l'interprète qui l'avait créée, Elisabeth Chojnacka, parce qu'elle considérait qu'au contraire, c'était une oeuvre intéressante, et elle disait même : "ça, c'est du répétitif intelligent". Alors donc, en effet, il y a quelque chose de répétitif mais c'est une oeuvre où il y a une influence indirecte de musique orientale, seulement il n'y a pas de mise en boucle. C'est constamment dissymétrique, ça donne un sentiment de répétition sans être réellement répétitif. Et c'est sur un mode de l'Inde du Sud, qui s'appelle [natacapria], qui est un mode qui n'a pas d'équivalent chez nous, c'est, par exemple : do, ré bémol, mi bémol, fa, sol, la, si bémol, do. Ce qui donne une couleur permanente assez particulière. Et c'est une oeuvre pour clavecin et orgue positif, combinaison qui a pu exister au XVIIIe siècle mais qui n'est pas fréquente et qui m'était suggérée par l'association entre deux amis, donc Elisabeth Chojnacka et Xavier Darasse, qui avaient l'intention de susciter un répertoire en duo, pour cette formation insolite. Il y a eu effectivement quelques pièces. Malheureusement Xavier Darasse a eu un terrible accident qui l'a obligé à interrompre sa carrière. Et aujourd'hui la pièce est jouée avec une partie d'orgue... la partie d'orgue positif a été enregistrée par moi et elle est jouée avec un CD.
  • Bruno Serrou
    Et il est accordé en mésotonique ou pas l'orgue positif ?
  • François-Bernard Mâche
    Non, l'accord est... il est éventuellement l'accord tempéré habituel. Il pourrait être mésotonique étant donné que c'est une oeuvre qui ne module pas, et on pourrait utiliser n'importe quel type d'accord, il y aurait pas de problèmes de transposition en changeant de ton. Et j'avais inventé pour cette pièce, en essayant de jouer moi-même au clavecin, une technique particulière. Comme le clavecin a deux claviers, lorsqu'on joue à l'unisson la même note sur les deux claviers, si on articule sans précaution, ça bloque les sautereaux et, au lieu d'obtenir un unisson entre deux fois la même note, on obtient un silence. Et j'ai exploité cette particularité pour créer avec des cycles répétitifs des silences irréguliers, au moment où les deux cycles coïncident. Seulement c'est assez difficile à jouer parce que, quand la main droite va jouer, par exemple, cinq fois un cycle de onze notes, la main gauche peut jouer sept fois un cycle de neuf notes, et les points de coïncidence se chevauchent, donc c'est assez compliqué. Je peux en faire entendre un petit extrait, là (clavecin). Donc c'est un mouvement sur place. C'est pour ça que je l'ai appelé Solstice - le solstice, c'est le moment où le soleil semble s'immobiliser sur... au point de l'écliptique qu'il a atteint. Donc s'immobiliser au sens où il se lève et il se couche dans les jours voisins au même endroit. Solstice est une oeuvre qui est restée un petit peu en marge des autres.
  • Bruno Serrou
    Et pourquoi avez-vous voulu faire ça, cette pièce... ?
  • François-Bernard Mâche
    Ben, parce que j'avais entendu parler de musique répétitive américaine, qui n'était pas encore développée en 1975, mais je commençai à reconnaître la répétition comme un trait universel, et donc je voulais voir ce qu'on pouvait faire avec la répétition. La répétition pure et simple est sinistre - c'est celle des boîtes à rythme, par exemple. Là, c'est l'absence de pensée totale. Mais si on anime cette répétition d'une certaine manière, pourquoi pas ?
  • Bruno Serrou
    Parce que ils disent... les répétitifs disent : c'est une musique qui est voulue - quand on écoute le début et qu'on écoute la fin, si on va vite, on se rend compte qu'il y a une modulation.
  • François-Bernard Mâche
    Oui, c'est ça, mais moi ça m'intéressait pas d'attendre la fin pour savoir que ça évolue. Je voulais pas m'ennuyer en attendant. Donc je voulais que ça évolue constamment et que, même à petite échelle temporelle, on entende qu'il y a un élément imprévisible.
  • Bruno Serrou
    Donc c'est une pièce qui dure combien de temps ?
  • François-Bernard Mâche
    Elle doit durer neuf minutes, sept/huit minutes.
  • Bruno Serrou
    Et en la composant, vous ne vous êtes pas lassé vous-même de la répétition ?
  • François-Bernard Mâche
    Non, parce que le rapport avec l'orgue change, il y a tantôt à l'unisson avec le clavecin, tantôt en complément, parce que les timbres changent aussi. C'est un soleil qui n'est que très relativement immobile.