Yvonne Loriod-Messiaen [06:24:36]

Entrée dans la vie

  • Bruno Serrou
    Yvonne Loriod, où et quand êtes-vous née ?
  • Yvonne Loriod
    Vous voulez la date ? ou le lieu ?
  • Bruno Serrou
    Précise. Où et quand, si vous...
  • Yvonne Loriod
    Je suis née en 1924 à Houilles, banlieue de Paris, où mes parents avaient un petit pavillon. Je suis née... très vite, paraît-il. Je suis la deuxième fille de Gaston et Simone Loriod, et la sage-femme n'a pas eu le temps d'arriver que j'étais déjà là. Elle a dit à ma mère : "Oh, cette petite ira dans le monde, parce que j'ai même pas eu le temps d'enlever mon chapeau !" Voilà, ça, c'est le petit détail qui vous amuse. Je suis donc née à Houilles, de parents qui étaient musiciens. Ma mère avait une très jolie voix, elle chantait. Mon père était très très doué, il était pianiste, mais très très doué. Il avait un talent extraordinaire, il improvisait. Et il disait : "Je peux vous improviser dans le style Chopin, je peux vous improviser dans le style russe." Et c'était un homme très très doué. Il était rédacteur au Gaz de France. Il travaillait beaucoup, mais il n'était pas musicien professionnel. Mais c'était un homme extrêmement doué, qui avait un très grand répertoire. Il jouait des Chopin, il nous réveillait en musique, avec "Peer Gynt" de Grieg. Le soir, il nous endormait avec des "Nocturnes" de Chopin. Comme j'avais deux soeurs, une qui est devenue médecin et la petite qui était quatre ans de moins que moi, qui était Jeanne Loriod, qui est devenue la grande spécialiste des ondes Martenot. Nous étions trois, trois filles, absolument ravies d'avoir un père musicien. Très très fière de mes parents, je dois toujours dire, tout de suite dire que c'étaient des gens absolument exquis, adorables, très intelligents, très très bons. Qui souffraient beaucoup, parce qu'il y avait très peu d'argent dans la famille. Et quand mon père ramenait ses... je crois à ce moment-là, quand j'étais petite, c'était... il ramenait 3 000 francs du Gaz de France, maman faisait des petites enveloppes pour les chaussures, pour les leçons des enfants, et ensuite elle se mettait à son bureau et elle pleurait. Parce que, ayant mis dans les petites enveloppes le nécessaire, il n'y avait plus un sou pour manger. Voilà, c'étaient des parents absolument charmants.
  • Bruno Serrou
    Alors sur le plan... parce que ce qui fait que vous écoutiez... à quel âge vous avez eu conscience que vous viviez dans un milieu musical ?
  • Yvonne Loriod
    J'étais un petit bébé très sage, mais j'ai... il paraît que mes parents étaient émerveillés parce que je chantonnais à deux ans, trois ans, je ne sais pas, je chantonnais... sans paroles, bien sûr, les chants que chantait ma mère, Mozart ou autre chose, etc. Alors je chantais juste. Et un jour mon père m'a mise au piano et il m'a dit : "Tu vas jouer ce que tu chantes et moi je vais t'accompagner, dans les basses, et je vais te faire des harmonies." Et j'avais eu la chance d'avoir une marraine autrichienne qui était professeur de piano et un peu plus tard elle m'a donné des leçons gratuites, bien sûr, parce que mes parents n'avaient pas d'argent pour payer les leçons des maîtres, alors c'est ma marraine qui me payait les leçons de Lazare Lévy. Et ma marraine avait ceci de merveilleux, c'est qu'elle avait un petit salon rue Blanche, pas loin de la Trinité, un petit salon, elle me dit : "Dès que tu auras huit ans, je veux que tu me fasses un concert tous les mois." Alors ça veut dire qu'à huit ans j'avais déjà des... je devais chaque mois lui jouer un petit Bach, lui jouer un petit Mozart, etc. Et elle a continué, ce qui fait que, grâce à son salon, grâce à son intelligence, à quatorze ans j'avais déjà joué en concert toutes les sonates de Beethoven. C'est quand même...
  • Bruno Serrou
    Quel était le nom de votre marraine ? Le nom de votre marraine ?
  • Yvonne Loriod
    Mme Sivade. Sivade Heminger. C'était une Autrichienne, qui était ma vraie marraine, et elle m'a logée quand j'étais jeune. C'est elle qui m'a dit : "Il faut que tu entres en classe d'harmonie. Tu as travaillé avec Lazare Lévy, il faut que tu fasses l'harmonie, il faut que tu fasses ceci..." Ma marraine était une femme merveilleuse, seulement elle s'arrêtait à Beethoven. Alors ce qui fait que plus tard j'ai découvert Debussy, lorsque Messiaen est venu de captivité et qu'il nous a joué le "Prélude à l'après-midi d'un faune", en Debussy, première chose qu'il a faite lorsqu'il a pris possession de sa classe au Conservatoire. Donc je n'avais jamais travaillé des oeuvres au-delà de Beethoven, et c'est grâce à Messiaen que j'ai pu aller plus loin.
  • Bruno Serrou
    Alors Yvonne Loriod, à quatorze ans, vous possédez déjà un immense répertoire grâce à votre marraine, qui vous donnait donc plusieurs occasions par semaine, une fois puis...
  • Yvonne Loriod
    Une fois par mois.
  • Bruno Serrou
    Par mois, de vous produire en...
  • Yvonne Loriod
    C'était beaucoup pour une gamine, non ?