Antoine Duhamel [07:34:41]

Le disque

  • Antoine Duhamel
    Oui, mon activité s'est orientée vers le disque dans la fin des années 1953, grâce aux travaux de Leibowitz, parce que Leibowitz enregistrait à ce moment-là des disques. Et Leibowitz travaillait avec un personnage absolument extraordinaire qui était André Charlin. C'est ainsi que j'ai fait, par exemple, une orchestration du "Mariage" de Moussorgski, que Leibowitz a dirigée, enregistrée par Charlin. Et Leibowitz m'a donné un peu un rôle d'assistant pendant qu'il enregistrait les "Gour Leader". En fait, je crevais d'envie à ce moment-là de devenir un peu son assistant officiel, mais ça n'a pas pu se faire. Néanmoins, c'est extraordinaire comme la variété des expériences que j'ai pu faire grâce à Leibowitz. L'enregistrement des "Gour Leader" a frappé plusieurs personnes, et mon rôle dans cet enregistrement a frappé plusieurs personnes, à commencer par Charlin, et un éditeur américain qui s'appelait Forb, je crois, qui était assez ami avec un monsieur qui s'appelle Screpel. Et c'est comme ça qu'un jour je me suis trouvé bombardé, ça tombait bien parce que je dois dire qu'avant je vivais tellement de bâton de chaise, de boulots par ci, par là, et un peu fils à papa, malgré tout, je dois dire, un peu protégé par mon père, que j'avais un peu honte de ça. J'étais tout de même déjà marié et père de famille, c'était un peu idiot, ça. Et grâce à cette histoire, je me suis trouvé en tête d'une situation, une vraie situation, à savoir que, simultanément, Screpel m'a proposé de devenir directeur artistique des Discophiles français, qui était une maison fameuse de l'époque, en même temps que Charlin avait très envie de me prendre comme apprenti ingénieur du son pour travailler avec lui. Et j'ai été même, du reste, effectivement, engagé par Charlin pendant quelque temps, avant que Screpel ne se décide. Et puis finalement ça a tourné autour de la situation qui était pour moi la meilleure, parce que c'est vrai que Charlin, il aurait aimé que je connaisse un petit peu mieux les impédances, les push pull, et tout ce qu'il faut savoir en électricité, auxquelles je ne comprenais rien du tout. J'étais vraiment pas fait pour ça. Je regarde l'homme du son pour voir la complicité qu'on peut avoir sur ce sujet. Et ce qui fait que j'ai réellement été l'assistant de Charlin pendant longtemps, et en même temps que, assez vite, Screpel m'a repris comme directeur artistique chez lui. Ce qui m'a pas empêché de faire un peu les deux travaux pendant des années, puisque, en définitive, quand j'enregistrais chez Charlin, la plupart du temps, Charlin me faisait confiance et me laissait me débrouiller. Il y avait tout de même là un ou deux techniciens autour de moi qui pouvaient parer à un ennui technique, les ennuis techniques ne manquaient pas. Mais nous avions un certain nombre de règles que je connaissais bien, et j'ai pratiqué donc l'enregistrement moi-même, à cette époque. Ce qui fait que depuis cette époque, je suis un ardent partisan de l'enregistrement avec un micro unique, ou un double micro, si on fait de la stéréophonie. Je pense que la multiplication des micros n'est pas une chose très très bonne, d'une part. Et d'un autre côté, grâce au travail fait avec Screpel, pour Screpel, je me suis trouvé avoir, à ce moment-là, des grands amis avec qui j'ai travaillé comme un fou pendant des années et des années, qui s'appelaient pas moins que Yves Nat, que Lily Kraus, que Marcelle Meyer, que André Courroux, que Marie-Claire Alain. Marie-Claire travaillait aux Discophiles, pas pour les Discophiles français mais pour Erato, mais comme c'était la maison voisine et que Charlin avait confiance en moi, je suivais aussi ses enregistrements. Donc on a fait une période qui a été un grand chamboulement, je pense, dans ma vie. C'est un grand chamboulement dans ma vie parce que c'est vrai que la démarche un peu rigoriste et intellectuelle que nous avions dans notre sphère des élèves de Leibowitz, ces dodécaphonistes qui malgré tout avaient terriblement éclaté parce qu'il y avait d'une part la tendance Boulez qui était arrivée pour la faire exploser sur un angle, et d'un autre côté, ceux de nos amis qui étaient devenus des (?) endurcis parce qu'ils étaient communistes, et qui ne voulaient plus entendre parler que de musique ultra simple et plus du tout d'intellectualisme dans la musique. Donc, on était partagé là-dedans, et pour moi ça a été une grande douleur de m'apercevoir dans les années 1948, 49, 50 peut-être après ce fameux concert que Leibowitz avait organisé, 1947, où j'ai été la première fois jouer en public, qui m'a valu d'être agonisé par Boulez peu de temps après, qui... je crois que ça été un peu l'éclatement, à ce moment-là. Peu de temps après, c'était terminé, et puis les gens se sont mis à tirer à boulets rouges sur Leibowitz, ce qui était scandaleux.