Alain Decaux [00:53:03]

«La caméra explore le temps»

  • Alain Decaux
    Et comme l'affaire marchait bien, Jean d'Arcy, c'est lui-même qui a dit : « Mais pourquoi maintenant vous ne faites pas l'histoire ? L'histoire oubliée, les énigmes, c'est fait, et maintenant tous les sujets vous sont ouverts, faites tous les sujets qui intéresseront le grand public. » Et nous avons fait... à ce moment-là ça s'est appelé "La caméra explore le temps", et donc ça a fonctionné très très bien, comme on le sait, avec vraiment des écoutes considérables, des succès qu'on ne peut pas oublier, que je n'oublie pas en tout cas, que ni Castelot ni moi n'oublions. Aujourd'hui, notre cher Stellio n'est plus avec nous, mais enfin nous pensons toujours... Et je donnerais un exemple pour montrer l'impact de certaines émissions : nous avons fait «La Terreur et la vertu». C'était... Le thème, c'était la Révolution vue sous l'angle du gigantesque duel entre Danton et Robespierre, qui incarnaient chacun une conception de la Révolution. Alors «La Terreur et la vertu», c'était simplement repris du décret de la Convention, ça montre la naïveté sublime des grands ancêtres, qui avaient mis, dans le même texte, à l'ordre du jour, «La Terreur et la vertu». C'était comme ça. Et alors nous avions donc développé sur deux émissions considérables, puisque chacune des émissions durait deux heures et quart, et elles sont passées deux samedis de suite... Réellement, toute la France à ce moment-là a regardé ça, et c'est devenu le sujet de conversation. C'est devenu le sujet de conversation. J'avais un ami qui travaillait dans une compagnie d'aviation qui s'appelait la TAI, qui est devenue plus tard l'UTA, et qui s'est amusé, le lundi qui a suivi la deuxième soirée de «La Terreur et la vertu», à parcourir toute la maison, c'est-à-dire des hangars où on réparait les avions jusqu'aux bureaux, jusqu'à l'administration, la direction supérieure, etc. , et il m'a dit : « Je vous jure qu'on ne parlait que de ça. Les types qui... avec les boulons jusqu'au patron qui prenait l'ascenseur. Eh bien ? Vous avez vu «La Terreur et la vertu» ? Alors qu'est-ce que vous pensez ? » Et les Français se sont mis à discuter sur ces personnages comme s'il s'agissait de contemporains. Et j'ai reçu cette lettre, que j'ai gardée précieusement parce qu'elle résume tout, c'était une lettre d'une dame d'Auvergne, qui habitait un petit village d'Auvergne, dont l'orthographe était approximative, et qui parlait de l'émission, qui avait éprouvé la nécessité... Elle ne demandait pas qu'on envoie une photo dédicacée, non, c'était... ce qui était touchant, c'étaient ces lettres de gens qui voulaient dire ce qu'ils pensaient, sans savoir qu'il n'y aurait rien... Ils savaient très bien qu'ils ne gagnaient rien. Cette dame parlait des personnages comme si c'étaient ses voisins. Elle disait, elle écrivait : « J'ai beaucoup réfléchi. C'est vrai que ce M. Danton mais elle écrivait Dantont, elle n'avait jamais écrit ce nom-là est plus sympathique, mais ce M.Robert Pierre me paraît quand même plus honnête. » Voilà. C'était vraiment le direct avec le téléspectateur. Alors nous avons vécu, je crois, des heures irremplaçables. Pas je crois, j'en suis sûr, je ne les ai jamais remplacées. Et il faut dire aussi que cette Terreur et cette Vertu ont été à l'origine de nos malheurs, parce que, évidemment, nous étions à une époque où le pouvoir gaulliste était dans toute sa force et où on ne faisait pas beaucoup de politique. Le Général... C'est pas moi qui nierai que c'était un grand homme, beaucoup de... tout le monde a de l'admiration pour lui, bien sûr, moi j'ai toujours été fasciné par l'homme extraordinaire, mais enfin le pouvoir était, en ce qui concerne la télévision en particulier... Il fallait serrer la vis, on ne pouvait pas parler... sans quand même prendre des précautions, etc. Et ça a beaucoup agacé en haut lieu pas le Général, et vous allez voir pourquoi. En haut lieu, ça a beaucoup agacé que tout à coup, alors qu'on s'appliquait à dépoliser... à dépolitiser les Français, que tout à coup les Français, par le biais d'une dramatique de télévision, se mettaient à parler politique. C'était très surprenant. Et les journaux ont donné une place énorme à «La Terreur et la vertu», il y avait des discussions, des tribunes libres, des gens qui donnaient leur avis, c'était très surprenant. Alors c'est après «La Terreur et la vertu» qu'il y a eu un référendum assez curieux, qui a été organisé sous cette forme : on a demandé à toutes les stations de province de faire voter les téléspectateurs sur un certain nombre... une liste d'émissions, pour savoir laquelle ils préféraient. Et alors... il y a eu ce soir-là, en direct avec les différents... Limoges, Lille, Marseille, etc. , avec des grands tableaux, on donnait les résultats. Et il y avait à l'époque "Cinq Colonnes à la Une" qui était vraiment une émission extraordinairement populaire et admirable, il y avait "Les Cinq Dernières Minutes", "En votre âme et conscience", enfin un certain nombre de choses très importantes. Eh bien, figurez-vous, c'est "La caméra explore le temps" qui l'a emporté de très loin. Les Français avaient manifesté en effet leur attachement pour l'histoire et telle que nous la faisons. Et, étonnamment, c'est après avoir été désignés comme la meilleure émission de la télévision française, qu'on a décidé de nous supprimer. On nous a laissés quand même finir ce qui était préparé, nous avons fait L'Affaire Ledru, qui était l'histoire d'un avocat au XIXe siècle et d'une erreur judiciaire, très émouvante, et nous avons même fini en beauté puisqu'on nous a laissés faire Les Cathares, qui a été... également en deux volets, qui a été également une des grandes émissions phares de notre série. Mais donc, en février ou en janvier ou février 1966, "La caméra explore le temps" est morte, avec une campagne inouïe, parce que... et qui n'était pas politique, c'est ça qui était bien. Réellement, la presse française entière, de "L'Aurore", même de "Rivarol" à l'extrême droite, jusqu'à "L'Humanité", ont protesté contre cette suppression. On a... "Le Figaro" a mené la campagne contre la suppression, avec André Brincourt qui a été formidable, il faisait un papier par jour. Or, je venais de publier un livre et je l'ai envoyé au Général. J'ai reçu une lettre du général de Gaulle, manuscrite, enveloppe manuscrite, me remerciant pour l'envoi de ce livre, mais ça, c'était pas très étonnant parce que le Général écrivait à presque tous les écrivains qui lui envoyaient un livre, et des lettres manuscrites, et des enveloppes manuscrites. Là où c'était plus étonnant, c'est que : « J'ai reçu votre livre, j'y ai pris un vif plaisir », etc. , point à la ligne. Paragraphe suivant : « Puisque l'occasion s'en présente, permettez-moi de dire que je suis votre très fidèle et admiratif téléspectateur. » Le général s'est désolidarisé de ceux qui avaient pris la décision, mais bien entendu il n'allait pas... revenir, on ne revient pas sur une décision... Alors moi j'ai fait quelque chose qui n'était peut-être pas très bien, j'ai communiqué la lettre à André Brincourt, et il y a eu dans "Le Figaro" sous ce titre : « Le général de Gaulle proteste contre la suppression de "La caméra explore le temps" ! » Enfin, c'était de bonne guerre quand même, hein... Voilà, alors on l'a fait... Voilà... On a même vendu des porte-clés j'en ai ! j'en ai ! des porte-clés avec cette inscription : « Rendez-nous "La caméra explore le temps" ! » Alors on ne nous l'a jamais rendue. Plus tard, je dois dire qu'on nous a proposé de la reprendre. Arthur Conte nous a demandé, Jacqueline Baudrier... Nous n'avons jamais voulu parce que nous nous sommes dit : « Il faut laisser les choses, il ne faut pas refaire, parce que les gens ont gardé une opinion favorable et une nostalgie... Si on refait... Parce que les "Caméra explore le temps", pourquoi ne pas être immodeste, il y en avait vraiment des très très bonnes, mais il y en avait aussi de fort moyennes, et trois ou quatre franchement exécrables, bon, on ne peut pas avoir du génie tous les jours ! Alors les gens avaient oublié tout ce qui n'était pas vraiment parfait et ils ne se souvenaient que des grandes. Laissons-les se souvenir des grandes ! Alors c'est pour ça qu'on a dit : « Non, non, on ne tient pas à refaire "La caméra explore le temps". Eh bien, cette émission, Alain Decaux raconte, n?est pas venue de ma propre initiative.