Patrice Leconte [07:47:56]

La découverte du cinéma

  • (Musique)
  • Danièle Heymann
    Patrice Leconte, on va commencer par le début, par l’enfance tranquille à Tours.
  • Patrice Leconte
    Mon enfance a été tranquille en effet. Parce qu’à Tours, il y avait une maison, la maison de mes parents, nous étions quatre frères et sœurs, je suis le numéro deux. Et c’est vrai que j’aimais pas faire de vagues, ni au lycée, ni nulle part. J’étais pas turbulent, j’étais pas tonitruant. J’avais qu’une impatience, c’était de me libérer de l’école, du lycée, c’est-à-dire de passer les années, les unes après les autres, pour faire enfin ce dont je rêvais. Mais quand j’étais enfant, évidemment, quand je dis ça aujourd’hui, ça étonne un peu, mais quand j’étais enfant, j’étais gros. J’étais un petit gros. J’oserais presque avec un peu de prétention, ajouter un petit gros rigolo. Parce que vous savez, enfin, non, vous savez pas, mais quand on est gros, la seule solution qu’on ait pour intéresser le reste du monde, en particulier les filles bien sûr, mais simplement les copains, les garçons, les classes, les écoles, c’est d’être drôle. Et c’est pas impossible que, on m’appelait Babar, c’est vous dire si j’étais un peu rond, c’était mon surnom. Et c’est pas impossible que le fait d’avoir été un petit rond, j’étais pas obèse, faut pas charrier non plus, mais d’avoir été rond, très longtemps, c’est pas impossible que ça ait pu être un apprentissage de l’humour, de s’en sortir autrement, d’intéresser les gens avec ça, la drôlerie.
  • Danièle Heymann
    J’ai lu qu’à ce moment-là, vous aviez une sorte de terreur du dessin, alors qu’après, il y a eu la bande dessinée, et un goût pour le dessin, la peinture, etc. Comment ça se fait, ça ?
  • Patrice Leconte
    J’aimais pas du tout dessiner et quand les cours de dessin, mais dans les toutes petites classes hein, en 10e, et 9e, quand il y avait les cours de dessin, j’étais paniqué parce que j’étais d’une maladresse infinie, avec le dessin. Cela dit, quand je me suis mis à faire de la bande dessinée, beaucoup, beaucoup plus tard, quand je me suis mis à aimer le dessin, à aimer la peinture, et tout ça, j’ai toujours vécu ça, non pas comme un peintre ou un dessinateur du dimanche, mais comme un type totalement autodidacte, c’est-à-dire que je regardais beaucoup les dessins des autres, mais j’ai jamais pris de cours de dessin, je regrette d’ailleurs parce que je pense que j’aurais appris quelques bases, pour pouvoir m’en écarter après. Alors que, pendant les cinq années où j’ai fait de la bande dessinée, je sentais bien que je faisais de mes maladresses un style, enfin un style, enfin – faisons de nos défauts des qualités – et j’essayais de m’en sortir par moi-même, sachant pas tout dessiner, essayant de... C’est pour ça que j’ai toujours écrit les scénarios de mes bandes dessinées, parce que je me disais : “Si un scénariste écrit un scénario que je dois dessiner, il va me coller à dessiner des trucs que je saurai pas faire. Moi, au moins je n’inventais des histoires que, des histoires que j’étais capable à peu près de dessiner. Donc j’ai toujours été autodidacte, mais c’est vrai que quand j’étais petit, quand le cours de dessin arrivait, j’étais pris d’une panique folle.
  • Danièle Heymann
    Est-ce que le cinéma avait quelque place que ce soit dans cette enfance provinciale et préservée ?
  • (Silence)
  • Patrice Leconte
    Le cinéma a eu très vite de la place pour deux raisons majeures. La première, c’est que mon père, qui n’avait rien à voir avec le cinéma, il était médecin, mon père était vraiment cinéphile, il allait beaucoup au cinéma, mais pas qu’au ciné-club, mais il allait au cinéma, c’était sa distraction, c’était son loisir favori d’aller voir des films, et très vite il nous a emmenés. Je dis nous, mon frère aîné, avec qui j’ai deux ans d’écart, et moi-même, il nous emmenait au cinéma. Il nous emmenait au ciné-club. J’ai vu beaucoup trop tôt des films devant lesquels on devait se prosterner. L’animateur de ce ciné-club, qui s’appelait Ciné-club de Touraine, l’animateur qui était un type formidable, que vous connaissez forcément s’appelait Jean Collet, il s’appelle toujours Jean Collet, il est toujours de ce monde, et il nous montrait La Dame de Shanghaï, Alexandre Nevski, et moi, je me disais “Mais… Pouhhh… C’est quoi, ces trucs-là ?” Évidemment. Après je me suis rendu compte que j’étais trop jeune pour apprécier ces films-là. Qui sont des films formidables, évidemment. Je me souviens qu’un jour d’ailleurs, Jean Collet n’avait pas pu venir avec le film qui était prévu, il n’avait pas eu les bobines, ni rien. Et il avait amené un film. Il nous avait dit : “C’est un film qui n’est pas tout à fait terminé. Le réalisateur est là et il a accepté de m’accompagner pour vous montrer le film”. C’était Adieu Philippines de Jacques Rozier, et quand j’ai vu Adieu Philippines de Jacques Rozier, après Alexandre Nevski et La Dame de Shanghai, je me suis dit : “Ah oui, ça, c’est du cinéma comme j’aime.” Parce qu’il y avait la vie, c’était un film qui n’était pas à trois cents kilomètres de moi, mais qui était tout proche. C’était, avec tous les guillemets du monde, un film dont je me disais : “Tiens, plus tard, je pourrais faire ça.” Quand j’ai vu les films de La Nouvelle Vague, ça m’a fait le même effet. Quand on voit À bout de souffle. Quand on voit les films de Christian-Jaque, on se dit : “Je pourrais jamais faire ça.” Parce que ça semble trop convenu, enfin, je sais pas comment dire. C’est pas vrai pour tous les Christian-Jaque d'ailleurs, parce qu’il y en a de formidables, mais bref… Mais quand on a vu les films de La Nouvelle Vague, moi, ça m’a électrisé. Parce que je me suis dit que ce cinéma-là, c’est comme si l’écran s’était “vrrrr…” rapproché de moi d’un coup, alors que l’écran était très loin. Je me sentais moins spectateur, je me sentais réalisateur peut-être, un jour… Et pour en revenir à la question, puisque j’ai fait digression, pardon, c’est que le cinéma était présent dans cette vie de province tranquille, parce que donc mon père était très cinéphile, il nous emmenait au cinéma, au ciné-club, et aussi parce que mon père avait une caméra 8 mm pour faire des home made movies, “Les enfants à la plage…” C’était toujours des films des enfants à la plage. Puis un jour, il s’est mis à faire du 16 mm. Et donc je lui ai dit : “Tu me donnerais pas ta caméra 8 mm, et il m’a donné la caméra 8 mm donc j’ai commencé à faire des petits films. Quel âge j’avais ? Je sais pas, je sais plus, mais des films avec des copains, avec des bouts de ficelle, le dimanche, ce qu’aujourd’hui, j’appellerais pompeusement apprendre à s’exprimer par l’image. Tout ça a disparu, rassurez-vous.
  • Danièle Heymann
    Mais entre le ciné-club, entre la précocité des grands films, entre la caméra 8 mm, on sent, sinon une vocation, du moins quelque chose qui ressemblerait à : “Quand je serai grand, je ferai des films.”
  • Patrice Leconte
    Le “Quand je serai grand, je ferai des films” a longtemps été dans un coin de mon crâne, dans un coin de mes envies. Le “Quand je serai grand, je ferai des films”, c’était surtout “Quand je serai grand, je raconterai des histoires”. Parce que j’avais le goût pour l’imagination, pour la drôlerie, l’humour et tout ça. D’inventer… C’est bien beau d’inventer une histoire, mais si vous en faites profiter personne, c’est dommage, quoi. Et j’avais, c’est ça, j'avais envie d’écrire, de mettre sur du papier, puis sur un écran mon imagination. Mais ce qui m’a vraiment, et je crois que c’est important de se le dire, ça, ce qui m’a vraiment déterminé définitivement dans cette volonté de vouloir être cinéaste, c’est quand j’ai fréquenté à Tours le festival international du Court-métrage. C’était un festival très important. Aujourd’hui toutes les villes de France ont un festival du court-métrage. Donc, c’est devenu banal. C’est très bien pour les réalisateurs de courts-métrages. Mais là, le festival de Tours, il était extrêmement important, il y avait des tas de réalisateur, mon père était tellement épatant qu’il nous faisait, à mon frère et à moi, un mot d’excuse pour qu’on n’aille pas au lycée pendant trois jours, pour qu’on suive tout le festival. Parce qu’il pensait que c’était bien pour enrichir notre œil. Mais quand j’ai vu les courts-métrages, il y avait des courts-métrages de Roman Polanski, des courts-métrages de Robert Enrico, Carlos Vilardebo, des films d’animation, il y avait de tout. C’était formidable. Mais au moins quand je voyais ces films-là, qui étaient des films d’une durée assez limitée, un court-métrage, quoi, des films qui souvent véhiculaient une idée ou deux, guère plus, mais qui étaient enveloppées comme ça, je me disais : “Ça, c’est à ma portée.” Et quand, au balcon du cinéma Olympia à Tours, il y avait deux projecteurs qui convergeaient vers un fauteuil unique et on entendait la voix : “Nous sommes heureux d’accueillir dans cette salle le réalisateur du film, Roman Polanski,” par exemple, et je voyais Roman Polanski se lever dans le truc, sincèrement, et c’est pas très modeste, je me disais : “Un jour, je serai là-haut.”
  • Danièle Heymann
    Quel a été le premier court métrage que vous avez réalisé, vous ?
  • (Silence)
  • Patrice Leconte
    Je ne me souviens pas du premier court-métrage que j’ai réalisé. Parce que j’ai fait plein de petits trucs de rien, des fausses publicités, des trucs de 32 secondes, des brouillons, des broutilles, des bricoles, enfin… Ça a commencé à se structurer un peu après. J’ai fait du cinéma d’animation, parce que c’est ce qui permettait de faire du cinéma tout seul. Avec du papier découpé, la caméra était posée comme ça, verticalement et puis moi, j’étais à quatre pattes en train de pousser les petits bouts, clic, encore un petit bout, clic. Mais c’était bien, parce que, oui, ça me permettait de m’exprimer vraiment. J’ai fait des films en pâte à modeler. Ça me plaisait de faire des films.