Yves Boisset [09:19:31]

De Niro, cet inconnu...

  • Yves Boisset
    Alors, il avait quelques petits défauts, Melville. Qui ne sont pas inintéressants. Par exemple, il y avait une scène de bagarre entre Belmondo, qui jouait le rôle principal du film, et des GI's, des Marines, dans un bistrot. Il m'avait dit : "Monsieur Boisset, je ne veux pas pour les petits rôles d'Américains, des crétins comme Jess Hahn, [Bill Ken], Edouard Meeks, qu'on voit dans tous les films français pour jouer les petits rôles d'Américains. Faut que vous me trouviez des Américains inédits". Bon, moi j'essaye de me renseigner et on me dit qu'il y avait aux Beaux-Arts, des étudiants américains des Beaux-Arts, qui faisaient aussi un peu de théâtre, comme ça. Alors je vais aux Beaux-Arts, j'en trouve trois ou quatre. J'amène à Melville pour jouer deux GI's avec lesquels Belmondo s'étripait dans un bistrot. Et parmi ces étudiants aux Beaux-Arts, il y en avait un qui était, moi, qui me paraissait, très bien. Je trouvais qu'il avait l'air vif, qu'il avait l'air intelligent. Et Melville le regarde et lui dit : "Vous êtes pas américain, Monsieur ?". Le type lui dit : "Bah oui, je suis américain je suis né dans le Bronx, j'ai toujours vécu à New York, je suis américain...", "Non, Monsieur. Vous êtes un menteur, Monsieur. Allez, sortez, Monsieur". Le type pas content, et vexé, blessé, se tire. Ce type, je ne l'ai su que beaucoup plus tard, j'avais oublié son nom, son nom, évidemment, il me disait rien. C'était un élève des Beaux-Arts. Il s'appelait Robert De Niro. Et Melville l'avait foutu à la porte comme un malpropre et dix, quinze ans plus tard, je me trouvais au festival de Belgrade, où j'étais venu présenter Dupont Lajoie. On était avec Isabelle Huppert, avec Jean Carmet, et puis un jour, y avait un monastère à proximité de Belgrade où se trouvait, paraît-il, des icônes extraordinaires de Roublev. Alors on avait convenu avec Isabelle et Carmet, d'aller voir ce monastère. Il faisait un froid de canard. Le festival de Belgrade était en janvier, il faisait moins dix, quelque chose comme ça. Et on s'était couchés très tard et on n'avait pas sucé que des glaçons. Donc le matin je me retrouve dans le hall de l'hôtel et pas de Carmet, pas de Huppert. Je les appelle, ils me font : "Oh... Écoute, moi je dors, Roublev... Ça va...". Et les gens du festival me disent : "Écoutez, si vous êtes tout seul, il y a un Américain qui est seul aussi, les autres sont pas réveillés, sont pas venus, donc si ça ne vous ennuie pas, lui, il est d'accord, de voyager avec lui, enfin, d'aller au monastère avec lui", je dis : "Oui, bien sûr". Et puis je vois dans la voiture un barbu engoncé dans un énorme manteau, car il faisait très froid. Un bonnet de marin jusque-là, des lunettes noires et une grande barbe comme ça. Bon. Et on bavarde : "Ouhla, qu'il fait froid !". Et puis il me dit : "Qu'est-ce que vous faites ? Vous êtes acteur ?". Je lui dit : "Non, moi je suis metteur en scène". Il me dit : "Ah bon ? Vous êtes metteur en scène, maintenant ?". Je lui dis : "Oui. Et vous ?". Il me dit : "Moi, je suis acteur". Je lui dis : "Dans quel film vous êtes ?". Il me dit : "The Dear Hunter". Je lui dis : "Ah, le film avec De Niro ?". Il me regarde comme un crétin : "But I am Bob De Niro !", et c'était donc De Niro. On chemine dans la voiture. Puis il me dit : " Mais on se connaît ! ". Jamais rencontré Robert De Niro de ma vie, moi. Et je lui dis : "Ah bon ?". Il me dit : "Si, si, je me rappelle très bien, vous étiez l'assistant d'un sale con qui m'a foutu à la porte, qui m'a viré en prétendant que j'étais pas américain et croyez-moi, je me rappelle pas votre nom, évidemment, mais je me rappelle très bien que vous étiez l'assistant de ce connard !". Et c'est comme ça que je suis devenu assez copain avec De Niro, parce que cette circonstance bizarre nous avait réunis.