Robert Paxton [05:53:02]

Le contexte politique des années 60 en France...

  • Marc Riglet
    Quand vous rencontrez Raoul Girardet, vous connaissez l'homme? Vous avez lu le livre?
  • Robert Paxton
    Oui, oui, j'avais...bien...pour me préparer avant de venir en France, j'avais lu tout ce que je pouvais trouver sur l'armée française et j'étais particulièrement impressionné par...les livres de Raoul Girardet et surtout...
  • Marc Riglet
    Parce qu'il y avait peu d'études sur la chose militaire en France.
  • Robert Paxton
    Peu d'études. Et surtout son livre sur la société militaire, parce que quand j'ai voulu étudier Saint-Cyr, c'était un prolongement de ce livre-là, et donc je connaissais son travail...
  • Marc Riglet
    Vous connaissiez sa trajectoire personnelle?
  • (Silence)
  • Marc Riglet
    Donc, Robert Paxton, vous aviez lu l'ouvrage de Raoul Girardet, La Société militaire, 1815-1939, mais est-ce que vous connaissiez l'homme, qui a un itinéraire personnel tout à fait intéressant: maurrassien, jeune homme de droite avant-guerre, résistant et qui occupait une place singulière parmi les historiens de Sciences-Po.
  • Robert Paxton
    Oui...j'arrive à rencontrer, bien sûr, il y avait un échange de lettres, il m'a répliqué très cordialement, disant bien: "Venez, je vous...surveille votre thèse officieusement", etc. Mais j'avais rien de son passé. Je savais qu'il était lié plutôt à droite politiquement, mais j'avais aucune idée que...combien il était impliqué dans la campagne pour l'Algérie française et...
  • Marc Riglet
    Oui, puisqu'il a été...il a même été emprisonné, il était très Algérie française.
  • Robert Paxton
    Je suis parti...je suis rentré aux Etats-Unis en août 1961 et M.Girardet était en prison parce que son nom...la police avait trouvé son nom dans le carnet d'adresses de quelqu'un qui était impliqué dans l'attentat vers Colombey-les-Deux-Eglises. Mais Raoul Girardet m'a frappé comme un homme qui était capable de...d'être historien tout à fait équitable, avec un sens des archives et des jugements très sûrs, tout en gardant pour lui-même ses idées personnelles.
  • Marc Riglet
    Pour évoquer ces personnes de cette période, qui tiennent une place à Sciences-Po, vous rencontrez également Jean Touchard?
  • Robert Paxton
    Non, je ne l'ai pas rencontré. Non, j'ai travaillé exclusivement avec Girardet.
  • Marc Riglet
    Et dans l'idéologie, je dirais française spontanée, le goût de la chose militaire marque ce qu'on pourrait appeler le "tempérament" de droite. En tout cas l'armée, dans le "bestiaire" de l'homme de gauche français, c'est une chose qui...disons pour lequel on n'a pas un goût particulier, enfin c'est le goupillon et le sabre, quoi... Alors quand vous abordez cette question-là, vous devinez que vous entrez dans un débat du type franco-français gauche-droite?
  • Robert Paxton
    Oui, j'en étais conscient, mais...ça ne me semblait pas une raison à refuser un sujet passionnant et j'étais...j'avais connu beaucoup de militaires, comme j'ai dit, dans notre petite ville, il y avait cette école militaire de l'Etat de Virginie, institution bizarre, un peu bizarre, où le général Jackson de la guerre civile avait été professeur de mathématiques. J'étais habitué aux militaires. Mais le moment, il faut le dire, le moment était délicat. L'année 1960-1961, parlant militaires au moment de...pire moment de la guerre d'Algérie, et au moment du soulèvement des officiers, en janvier...non, c'était en avril 1961, et j'étais en train de interviewer les officiers qui avaient des sentiments assez vifs par rapport à l'attitude de beaucoup d'Américains envers la guerre d'Algérie et...et qui étaient...l'atmosphère était très tendue. Et j'ai même eu des interviews avec des gens qui disparaissaient. Le colonel Lajoie par exemple, je lui ai parlé un jour à l'Ecole militaire et le lendemain il était caché quelque part. C'était en avril 1961, donc c'était une drôle...d'année.
  • Marc Riglet
    C'est sûr...Et Weygand alors, vous faites l'interview de Weygand?
  • Robert Paxton
    Oui, oui, c'était tout à fait au début, ce qui était dommage, parce que je n'avais pas encore la moindre idée de comment...faire une interview intéressant avec le général Weygand, c'était tout à fait au début, je n'avais pas fait mes études et, surtout, je n'avais pas encore vu les archives allemandes. Donc...nous avons échangé quelques généralités pas trop probantes. Mais à partir de cela, je pourrais téléphoner à n'importe qui en disant: "Je vous téléphone de la part du général Weygand", parce qu'il m'avait donné un...une liste de noms d'officiers supérieurs et donc j'étais lancé. Et il faut dire que ces interviews n'ont pas donné beaucoup de faits inédits, mais c'était très révélateur des attitudes et de la pensée après la guerre, la manière dont on a réinterprété l'expérience de Vichy, donc c'était passionnant pour les personnages et le climat. Mais il faut dire que je n'ai pas appris énormément de choses, de secrets sur l'armée, la politique militaire du régime.