François Bayle [11:24:10]

Les I-sons

  • Bruno Serrou
    Alors, y a aussi plusieurs mots que vous utilisez souvent. Y a im-son. Di-son. Me-son. I-son.
  • François Bayle
    Oui. Ca se sont les...
  • Bruno Serrou
    Est-ce que vous pouvez raconter tout ça, là ?
  • François Bayle
    Oh, ben... je vais pas m'appesantir là-dessus, mais c'est surtout... au fond, c'est une déclinaison du concept d'image de son. A partir du moment où on entend un objet temporel - dirait Husserl ou Bernard Stigler -, à partir du moment où moi, je dis que ce n'est pas un son comme les autres, c'est une image. C'est-à-dire que c'est une entortionalité, que c'est un phénomène comme arc-en-ciel, que c'est, à la fois là, mais que surtout en moi qui le perçoit. A partir du moment où cette image est soit aisément reconnaissable dans son identité - par exemple, un bruit de train ou un claquement de porte, et Dieu sait qu'il y en a dans la musique acousmatique ; ou le bruit de pas de quelqu'un ou une voix, tout d'un coup. La voix. La voix. Le haut-parleur. Le mot parleur dans le haut-parleur, ça fait allusion à quoi ? Ca fait allusion à la voix. Pourquoi ? Parce que qu'est-ce... quelle est la chose la plus... la plus prégnante qui puisse sortir d'un haut-parleur ? C'est quand le haut-parleur imite la voix. Tout simplement parce que dans notre cortex - orbitaux-frontal, on pourrait dire -, nous sommes hyper entraînés à détecter les voix...
  • (Silence)
  • François Bayle
    parce que les voix, nous les entendons depuis déjà de nombreux mois avant la naissance ; parce que la voix est le lien avec l'autre et que, donc, nous avons une expertise des voix, formidable. Nous sommes très, très gourds, très, très gourds à reconnaître un son, une origine causale. Les sons trompent l'oreille très facilement. Les bruiteurs le savent, qui, de préférence, n'utilisent pas le vrai corps sonore pour produire le son ; par exemple, le son d'un cheval, il faut pas le faire avec des sabots de cheval. Il vaut beaucoup mieux faire avec des plaquettes de bois. Le bruit du vent, il vaut beaucoup mieux le faire avec... un morceau de carton, qu'avec du vrai vent qui claque dans les haut-parleurs, et qui fait un très vilain... qui est plein d'accidents. Enormément de sons, il vaut mieux les faire autrement et ils sont mieux simulés. Donc on trompe l'oreille très facilement. Sauf sur la voix. Sur la voix, on a une expertise extraordinaire ! Le haut-parleur s'est appelé haut-parleur parce que, très vite, on a reconnu la voix. D'ailleurs, l'icône, La voix de son maître, a tout de suite mis le doigt sur la très bonne image. Une image absolument extraordinaire. C'était ça, même un chien reconnaît la voix de son maître ! Aussi mal enregistré que se soit, et Dieu sait à l'époque où justement on l'employait, l'enregistrement phonographique était horriblement distordu, affreusement imparfait et, à peine, reconnaissable. Mais un chien reconnaissait son maître, voilà ! Parce que l'expertise de la reconnaissance de la voix est très poussée. Ce sont des moments de prégnance. Finalement, le spectacle auditif fonctionne par des coups de phare de prégnance, qui rassurent et qui donnent des pôles d'attention, et qui permettent des aventures auditives, sur des imprécisions, sur des ouvertures, sur des... sur... des moments d'... intermination, qui se referment ;ce sont des arches qui se... et des faisceaux qui se nouent sur des noeuds de certitude, et qui se réouvrent sur des périodes d'incertitude. En ce sens, la musique acousmatique, c'est la continuation de toute la... toute la démarche d'indétermination qui est une aventure de la musique d'écriture, depuis déjà... pratiquement le milieu du vingtième siècle qui est l'entrée dans la musique de tous les paramètres d'indétermination. Toutes les formules fragmentées, toutes les... toutes les formules avec aléa, toutes les parties avec improvisation, toutes les... les choses où le texte est... devient confus, complexe, superposé, enchevêtré, illisible...
  • Bruno Serrou
    Tout ce qui est harmonie, contrepoint...
  • François Bayle
    Surchargé par des quantités de sons qui le masquent. Y a qu'à voir les partitions de Ferneyhough, même de Xenakis, où l'illisible est... postulé par l'auteur. L'auteur veut, à un certain moment, que... sa ligne soit claire et puis, à d'autre moment, il veut, au contraire, qu'elle devienne très nuancée jusqu'à devenir une pulvérisation, un pur éclat...
  • Bruno Serrou
    Un nuage.
  • François Bayle
    Voilà... voilà, elle se dissolve complètement dans l'anéantissement. Et c'est de tout cela que, finalement, l'acousmatique continue, d'une certaine manière.
  • Bruno Serrou
    Alors, qu'est-ce que ça veut dire : im-son, c'est image-son ?
  • François Bayle
    Image... voilà. Les im-sons, c'est-à-dire ce sont des sons projetés.
  • Bruno Serrou
    Hon, hon.
  • François Bayle
    Et les im-sons projetés peuvent être de différentes natures et, notamment, de trois natures, et ça...
  • Bruno Serrou
    Le I de son, ça veut dire quoi ?
  • François Bayle
    I : image.
  • Bruno Serrou
    Image, d'accord. Hon, hon.
  • François Bayle
    Comme E-mail veut dire courrier électronique, I-son veut dire image de son.
  • Bruno Serrou
    Et ça, c'est en français, donc...
  • François Bayle
    Voilà. Et, tout de suite, pour ne pas figer - parce que Image de son, ça ferait trop penser à une seule sorte d'images, c'est-à-dire des images causales. Alors, tout de suite, je veux différencier en : im-son. C'est-à-dire avec un M, image ; qui réfère, effectivement, tout à fait, à une cause : on entend le train. On entend le cheval. Di-son qui veut dire simplement : c'est un indice. On croit reconnaître mais on en est pas sûr, mais enfin, ça ressemble à ; c'est une évocation. Et puis, me-son qui est : C'est plus de tout ça, c'est une métaphore. C'est un son qui n'a aucune... aucune étiquette ; et qu'il faut donc classer par rapport à quelque chose qui est soit de l'ordre du contexte, soit de l'ordre du système habituel. Par exemple, une harmonicité... temporalité, rythmicité. Voilà. Je veux dire par-là que, lorsqu'un son est projeté et que, c'est une image qu'on entend, cette image peut être de toute sorte, et pas forcément reconnaissable. Un son électronique qui fait : vrroum, qui fait un contour juste, pour moi, c'est un di-son ; c'est un indice, simplement, d'une variation énergétique ; et si par cas, ce contour est plus ou moins harmonique, c'est même un me-son parce qu'à ce moment-là, on va l'écouter harmoniquement. Il va nous renvoyer sur une grille d'écoute qui est, tout à fait,... sur lequel j'ai déjà une connaissance, etc. , puisque j'ai une oreille culturée... culturelle, forcément ; c'est pas la première fois que j'entends de la musique donc... et si sonne comme de la musique chinoise... ça me renverra à ce système-là.
  • Bruno Serrou
    Et à un moment aussi, vous parlez de tripartition du son...
  • François Bayle
    Du signe.
  • Bruno Serrou
    Du signe ! Oui, pourquoi j'ai mis du son ? ! Du signe... Répartition du signe.
  • François Bayle
    Oui, parce que ces trois états que je viens de dire, je les emprunte à... Je ne veux pas... Moi, au fond, je suis pas quelqu'un qui a inventé grand-chose. Je suis plutôt quelqu'un qui réunit et qui a essayé de combiner un certain nombre de concepts qui, déjà, sont à l'oeuvre à notre époque, qui sont finement la problématique de mon temps. Les objets temporels de Husserl, les objets musicaux de Schaeffer, l'acousmatique de... de Pythagore ; mais aussi la sémiotique de Pierce ; justement, les trois étapes du signe, icône, indice, signe, symbole, c'est.... Charles Senders Pierce. La concrescence de Whitehead. Il faudrait dire un mot sur la concrescence. Concret. Qu'est-ce que ça veut dire concret ? Schaeffer ne s'est jamais interrogé sur le mot concret qu'il a tellement employé, qui l'a tellement fasciné. Moi, ça m'a intéressé de savoir que voulait dire concret. Concret veut dire : con, ça veut dire ensemble, et cret, ça veut dire croître. Ce qui croît ensemble. Autrement dit, les croissances enchevêtrées, en fait. Au fond, les complexités de la croissance. Voilà ce que veut dire concret. Et c'est un concept très important qui a été mis sur orbite - et ça, je l'ai su qu'à travers Merleau-Ponty - par un philosophe du début du siècle qui s'appelle Whitehead, qui a inventé le concept de concrescence... Moi, je trouve que c'est très enrichissant ça. Parce que ça veut dire que dans notre actualité - et c'est, évidemment, la technologie qui est cause de tout ça - nous sommes... il a fallu inventer les concepts qui... s'alliaient avec la production, avec... les dynamismes, avec les flux. Parce que les machines nous donnent... des flux parce que... nous ne vivons pas à une échelle lente. Nous avons quitté l'échelle lente. Nous sommes passés dans un mode accéléré de... relation avec le monde. Les avions, les trains, les voitures, nous montrent des images accélérées, des agglomérats ; les... photos nous montrent des phénomènes instantanés. Le cinéma nous montre des phénomènes accélérés, etc. Toutes sortes de concepts accompagnent ces perspectives que les technologies nous offrent à subir ou à sentir, et que les artistes, après, organisent, tantôt en se servant de manière bricolée, de ce que les technologies proposent ; tantôt de manière un peu plus coordonnée, en y réfléchissant.