Edith Stern-Davidovici [02:10:27]

La Légion d'honneur

  • Antoine Vitkine
    D'accord, et le deuxième objet que vous avez voulu amener, c'est ça...
  • Edith Stern-Davidovici
    ça, c'est la Légion d'honneur avec la rosette.
  • Antoine Vitkine
    Cela représente quoi pour vous d'avoir reçu la Légion d'honneur ?
  • Edith Stern-Davidovici
    Alors, voilà la rosette, voilà la Légion d'honneur, je vais la sortir. Ça va, je peux la remettre ? Alors ça s'est passé que... monsieur le Grand Rabbin Sitruk, que nous connaissons très bien - je vais à ses cours et nous sommes très bien ensemble, avec madame Sitruk aussi, qui donne des cours extraordinaires aussi - a une secrétaire qui s'appelle Lina, exactement comme votre association, et puis qui m'aime beaucoup. Et elle a trouvé que comme je fais beaucoup de conférences, je sais pas pourquoi... Elle a trouvé que je devais absolument avoir la Légion d'honneur et comme ils se sont adressés au Président Chirac, qui lui m'avait déjà envoyé une lettre de remerciement, ayant lu mon livre... Et ça s'est passé aussi avec ça, mais ils sont partis faire un voyage à Auschwitz, dont malheureusement, je pouvais pas faire partie. Et il y avait dedans le secrétaire particulier - je crois - de monsieur le Président Chirac, et Lina était assise à côté. Et comme elle a vu que j'étais si triste que je pouvais pas aller, elle a pris mon livre avec elle sous le bras et elle s'est dit : "Ça, c'est toi qui est sous mon bras... à mon bras. Et lorsqu'elle est revenue, dans l'avion, elle a vu ce secrétaire qui ne faisait rien, qui lisait rien et elle a dit : "monsieur, est-ce que vous voulez avoir quelque chose à lire ?". Et elle a donné mon livre. Et ce secrétaire a trouvé ce livre - je vous répète ce qu'elle m'a dit - sensationnel, et ils ont trouvé que tout ce que j'ai passé, etc... peut-être que ça méritait quelque chose, qu'on en parle. Et donc, un jour, je reçois une lettre du cabinet de monsieur Chirac qui m'annonce que je vais avoir : le Chevalier de la Légion d'honneur. Moi, j'ai jamais entendu parler de ça et je pensais que c'était une blague : j'ai deux gendres qui sont adorables et qui adorent me faire des farces. Donc, je téléphone à un des gendres, je lui dis : "Dis moi" - il s'appelle Pinny, c'est le mari de ma fille qui a fait la photo - "c'est tout ce que t'as à faire de faire des blagues comme ça, Légion d'honneur, d'abord je ne sais pas quoi en faire, et puis je vois pas très bien pourquoi j'ai la Légion d'honneur". Alors il me dit : "Moi, mais j'ai jamais rien fait, je sais pas de quoi tu parles". Je dis : "Tu es sûr ?". "Mais oui". Alors, je téléphone à mon autre gendre, puis lui aussi encore - il est plus sérieux, mais lui aussi comme ça de temps en temps, il me téléphone en me disant : "Allo, ici c'est la chancellerie", je sais pas genre comme ça, et je dis : "C'est toi qui m'a fait faire la Légion d'honneur ? Et tu me racontes des histoires". Il me dit : "De quoi tu parles ? Je sais même pas de quoi tu parles". Et ça commençait un petit peu à m'embêter, et je commençais un petit peu à me creuser le cerveau. Qu'est ce que ça pouvait bien être? Alors comme mon amie Lina est une très, très bonne amie, je lui dis : "Lina, dis moi, je sais pas, j'ai reçu un papier de la Légion d'honneur, c'est quoi ça ?" Elle m'a dit : "Mais oui, regarde. La nuit je pouvais pas dormir, et je trouve que toi, tu dois avoir la Légion d'honneur, tu fais des conférences partout, tu travailles pour une association qui s'appelle Naguila pour les aveugles et les handicapés moteurs, et" - ça fait vingt ans que j'essaie de leur avoir de l'argent partout - "tu dois avoir la Légion d'Honneur, j'en ai parlé au Grand Rabbin Sitruk, qui en a parlé au rabbin Corsia, qui est très bien avec le Président Chirac et ils ont dit : "C'est vrai, elle a raison, je devrais avoir le Chevalier de la Légion d'honneur". Et voilà comment c'est arrivé. J'ai été décorée de la Légion d'honneur par le Grand Rabbin Sitruk, dans sa synagogue, avec tous mes amis, les enfants sont venus à Paris... Et la décoration dort gentiment dans le tiroir. Les enfants étaient euphoriques.
  • Antoine Vitkine
    Il y a soixante ans, vous avez été arrêtée par la milice française, aujourd'hui, l'Etat français vous remet la Légion d'honneur ? Qu'est-que ça vous fait ?
  • Edith Stern-Davidovici
    Je vais vous dire : c'est pas la Légion d'honneur - c'est beaucoup d'honneur, surtout je vois cela pour mes enfants, parce que moi, en vérité, je m'en sers pas beaucoup - mais je trouve que c'est de bon droit, vraiment, après ce qui s'est passé... Pas qu'ils me l'ont donnée, je peux même pas m'exprimer de cette façon : je trouve qu'ils ont une dette envers nous, les Français, de nous avoir comme cela jetés en pâture aux Allemands. Alors, on reçoit une pension, mais ça c'est pour toutes les maladies qu'on a... qu'on a là-bas. Mais c'est pas vraiment, si on peut dire, payé en retour de ce qu'ils nous ont fait. C'est très joli la Légion d'honneur, c'est très sympa... J'avais déjà une médaille qui dort aussi dans un tiroir, de la mère méritante, en 68, quand les enfants - ils étaient à l'école Yavné - ils sont allés se renseigner comment les enfants travaillent et ils m'ont donné la décoration de la mère méritante. J'ai eu droit à une gerbe de fleurs, en 68, cinquante francs, et le baiser du maire. C'est aussi dans le tiroir tout ça : c'est sympathique pour les enfants, vraiment les enfants étaient euphoriques, ils étaient très fiers que leur mère est décorée... Et je dis que la décoration, c'est mon mari qui devrait l'avoir. De m'avoir supportée cinquante-huit ans, je le lui dédie.
  • Antoine Vitkine
    Merci, très bien, ...merci beaucoup. Parfait.