Jacques Smaer [03:43:39]

Le voyage à Auschwitz pour le film :« Premier convoi »

  • Jean-Baptiste Péretié
    Au moment de ce film, c'était la première fois que vous retourniez à Auschwitz ?
  • Jacques Smaer
    Oui, je ne... on ne voulais jamais y retourner. On était presque tous, pas tous mais presque tous réticents à y retourner. Parce que quand nous y sommes arrivés on a été très déçus. Très déçus parce que on a été... déjà reçus, il n'y avait personne pour nous recevoir. Il n'y avait que le groupe de cinéma qui était là, qui nous attendait avec le groupe polonais qui nous attendait hein ! Eux ils étaient au courant de ce qu'ils allaient faire mais le restant de la population... personne. D'ailleurs même dans le camp, les guides qui étaient dans le camp ils ne savaient même pas que nous avions été dans le camp. C'étaient des jeunes, hein. Que les juifs avaient été là. Il y avait dans la salle, dans le fameux block 11 il y avait une salle qui était réservée à de nombreuses photographies, toutes les photographies étaient des photographies de Polonais, aucun Juif. Et quand on disait aux interprètes qui étaient là, qui parlaient parfaitement le français, qui étaient... c'étaient des Polonaises, c'était en général des filles. On est des Juifs. Il n'y a jamais eu de Juifs ici. Des... que des résistants, que la résistance polonaise. Alors croyez moi quand on les a mis au parfum là. Elles ne croyaient pas qu'on était venus là pour faire un film et revivre un peu, enfin revivre, par la pellicule ce que nous avions vécu sur... elles ont appris elles-mêmes, ces personnes comment nous avions été conduits ici et pourquoi. Elles n'étaient pas au courant. Il y avait toujours cette... en Pologne ça a toujours été ça d'ailleurs, l'antisémitisme. Alors quand on a fait un film là-bas à Auschwitz, d'ailleurs on n'a même pas... avec Nathan Darty il avait... on est arrivés... les douze, on est arrivés en train et il y en a dix qui sont repartis par le train deux jours après nous. Mais nous dès qu'on a fini le... quand on n'avait plus besoin, Nathan il dit, j'affrète un... il avait les moyens il a toujours les moyens. Il a affrété un « falcon » et on est repartis tous les deux par avion. On n'a pas voulu rester parce que... si on a été... avant d'être libérés on a assisté à un marché et on s'est acheté du cristal de Bohême là, un vase et puis des trucs qu'on a ramenés à nos femmes.
  • Jean-Baptiste Péretié
    Qu'a pensé votre fils Philippe et votre petit fils Julien de ce film ?
  • Jacques Smaer
    Ben je vais vous dire très franchement, il y a à peu près trois mois mon petit-fils m'a demandé de lui prêter la cassette du premier convoi. D'abord il n'en parle jamais. Et il n'y a pas longtemps je lui ai demandé : « Tu as regardé la cassette ? » « Non j'ai pas eu le temps » . Mon fils l'a vue mais pas de commentaire. Il sait que je suis... je ne veux plus en parler pratiquement.
  • Jean-Baptiste Péretié
    Et à votre petite-fille Stéphanie vous en avez parlé ?
  • Jacques Smaer
    Non, non plus !
  • Jean-Baptiste Péretié
    Combien aujourd'hui reste-t-il de survivants du premier convoi ?
  • Jacques Smaer
    On est six.
  • Jean-Baptiste Péretié
    Et vous gardez des liens avec le cinq autres ?
  • Jacques Smaer
    Ah oui, jusqu'à il y a trois ans on se réunissait toujours aux environs du 27 mars. On se réunissait au, à la porte Dauphine il y a un restaurant qui s'appelle le pavillon Dauphine. On se réunissait là avec nos familles ou nos amis. On était environ... les premières années on était vingt-cinq-trente. Et puis ça a de plus en plus diminué. C'est là d'ailleurs qu'on... c'est à la suite d'une entrevue comme ça que Suzette Bloch et Jacky Assoun, Suzette Bloch était voisine palière avec Joseph Rubinsztein.
  • Jean-Baptiste Péretié
    Qui est un des derniers survivant issu de ce convoi.
  • Jacques Smaer
    Qui est un des derniers survivants du premier convoi. Et c'est elle journaliste, qui est journaliste à France Presse, qui a eu l'idée de faire un documentaire. Alors c'est elle qui a contacté, parce qu'elle a des connaissances, c'est elle qui a contacté Jacky Assoun, enfin les producteurs, enfin tout le monde pour réaliser ce documentaire.
  • Jean-Baptiste Péretié
    Est-ce qu'aujourd'hui le fait, le fait d'être parmi les derniers survivants de ce convoi vous donne une responsabilité particulière ?
  • Jacques Smaer
    Oh non, on ne ressent pas, on ne la ressent pas. Quand on est invité pour parler, évoquer des souvenirs on est d'accord, pour l'avenir, mais sans plus, sans plus.
  • Jean-Baptiste Péretié
    Et pourquoi aujourd'hui avez vous accepté de venir témoigner ?
  • Jacques Smaer
    Pour le futur, pour que ça reste pour le futur. Pour les jeunes. Parce que dans mon esprit... dans les écoles quand je suis rentré... j'avais mon fils qui allait à l'école et je lui demandais : « Est-ce qu'on a parlé de la Seconde Guerre mondiale dans l'histoire de France ? » « Non, non on n'en parle pas, on parle de la guerre de 14 » . Mais je dis, moi quand j'étais à l'école on parlait de la guerre 14, mais la guerre 14 elle a déjà... elle a vingt-cinq ans, trente ans quarante ans en arrière et on ne vous parle pas de cette Deuxième Guerre mondiale ? Il dit :« Non, on n'en entend pas parler » . Moi j'ai dit je ne comprend pas qu'on n'en parle pas et... par la force des choses qu'on parle au moins de toutes les victimes qu'il y a eu. Qu'il y a eu en Allemagne en Russie, en Amérique ils n'ont pas trop souffert de la guerre mais l'Europe a souffert de la guerre. Il y a eu je ne sais plus... plus de cent millions de morts. Alors je ne comprenais pas que les gens, enfin que l'éducation nationale n'ait pas mis ça en place. Que les jeunes n'apprennent pas ce qui s'est passé pendant la Deuxième Guerre. Les restrictions qu'il y avait, les malheurs qu'il y avait, la déportation, et pourquoi le maréchal Pétain a plié les mains et qu'il a fait autant de mal que s'il était lui-même un Allemand, enfin bref toutes ces choses là. Je n'ai pas compris, je n'ai pas compris. Et c'est pour ça que je suis toujours resté un peu en arrière. Quand on parlait entre nous : tu te souviens de ceci ou de cela ? Entre nous qui avions souffert, là on parle volontiers mais en dehors jamais, avec ma femme jamais. Je ne sais pas mais je ne veux plus me souvenir, je veux que ce soient les autres qui se souviennent, les jeunes qui se souviennent. Voilà !
  • Jean-Baptiste Péretié
    Merci, merci !