Joseph Rubinsztein- Mémoires de la Shoah
Sommaire
- Part. 1 : L'avant guerre et le début de la guerre
- Chap. 1 : Une famille émigrée du XIème arrondissement de Paris
- Chap. 2 : L'engagement dans la Légion étrangère
- Part. 2 : La déportation
- Chap. 3 : L'arrestation avec le père
- Chap. 4 : L'internement à Drancy
- Chap. 5 : 27 mars 1942 : le départ du premier convoi pour le camp d'Auschwitz
- Chap. 6 : L'arrivée au camp d'Auschwitz
- Chap. 7 : Les règlements de compte au camp de Birkenau
- Chap. 8 : A Auschwitz I : travaux de terrassement et «Canada» (centre de tri)
- Chap. 9 : Sur la rampe à Birkenau
- Chap. 10 : Le Kommando de nettoyage du ghetto de Varsovie
- Chap. 11 : Les amis
- Chap. 12 : La mort
- Chap. 13 : Le camp de Dachau
- Chap. 14 : L'arrivée des Américains
- Chap. 15 : Les femmes
- Part. 3 : Le retour et l'après-guerre
- Chap. 16 : Le retour à Paris et les retrouvailles familiales
- Chap. 17 : La difficulté de raconter. Les bûchers de Juifs dans le ghetto de Varsovie.
- Chap. 18 : « Le Premier Convoi », film documentaire
- Chap. 19 : L'importance du témoignage
- Part. 4 : Présentation des documents
- Chap. 20 : Les photographies
Transcription
Part. 1 : L'avant guerre et le début de la guerre
- Jean-Baptiste PéretiéMonsieur Rubinsztein, vous êtes né en Pologne en 1918, pourriez-vous me parler de votre famille ?
- Joseph RubinszteinPardon ?
- Jean-Baptiste PéretiéEst-ce que vous pourriez me parler de votre famille ?
- Joseph RubinszteinAh la famille ! On a émigré en 1924. Le père et les deux frères aînés, ils sont arrivés en France en 23. Et ils ont fait ce qu'il fallait pour nous recevoir en 1924, le restant de la famille. Nous étions sept enfants, il y avait quatre frères et trois soeurs.Le père, il est arrivé, il avait encore sa barbiche. Puis quand il a vu le pays moderne comme ça, il l'a enlevée. Et on a commencé à ... les frères ont commencé à travailler. Le père, il était ouvrier à domicile dans la confection pour homme.Et puis on a grandi et puis on a commencé à travailler. Moi j'avais six ans à ce moment-là quand je suis venu. Alors j'ai été à l'école comme tout le monde.
- Jean-Baptiste PéretiéEst-ce que vous savez pourquoi vos parents ont décidé de quitter la Pologne ?
- Joseph RubinszteinAh, la Pologne c'était un pays assez antisémite, et nous habitions un petit patelin près de Varsovie, Latowicz. Les gosses jetaient des pierres, cassaient les carreaux. Alors le père, il a dit : « Tiens, on va émigrer en France ».A ce moment-là, c'était facile parce que le père avait un frère aîné, son frère aîné. Et c'est lui qui est arrivé le premier en 1917, même avant, avant la guerre. Et en 17, il s'était engagé mais il n'est jamais parti. Et il a fait venir sa famille, c'est-à-dire son autre frère, sa soeur. Ils étaient trois frères et une soeur.Et puis on a commencé à vivre comme les Français, quoi. Puisque la Pologne c'était un petit peu arriéré. Les parents, ils étaient... Mais c'était un pays très antisémite.
- Jean-Baptiste PéretiéEst-ce que vos parents vous ont donné une éducation religieuse ?
- Joseph RubinszteinNon. Le père, il allait à la synagogue tous les samedis, au début. Alors après, il y allait une fois par mois, puis après juste au moment des fêtes, quoi. Comme en ce moment, il y a hanoukkah en ce moment. Mais, nous, il ne nous emmenait pas du tout. Les frères, ça ne les intéressait pas. Moi non plus. Moi j'étais tout petit.
- Jean-Baptiste PéretiéDonc vous étiez sept enfants, c'est ça ?
- Joseph RubinszteinSept enfants.
- Jean-Baptiste PéretiéEt vous, vous étiez le combientième de la fratrie ?
- Joseph RubinszteinC'est-à-dire, il y a une soeur qui avait deux ans de moins que moi, et puis encore une petite soeur qui avait trois ans de moins. La petite soeur a été déportée, avec la mère et le père et le frère aîné. Le frère aîné, il était né en 1910.
- Jean-Baptiste PéretiéDonc vous, vous êtes allé à l'école ?
- Joseph RubinszteinJ'ai été à l'école.
- Jean-Baptiste PéretiéEst-ce qu'à l'école vous avez rencontré de l'antisémitisme en France ?
- Joseph RubinszteinBen non, pas du tout. Absolument pas.
- Jean-Baptiste PéretiéVous habitiez, je crois dans le XIème arrondissement ?
- Joseph RubinszteinDans le XIème, dans la cité Lesage-Bullourde. Et on a été à l'école rue Keller, à côté juste. Maintenant la cité Lesage-Bullourde n'existe plus. Il y a juste le passage qui existe. Ils ont construit.Et après en 1923, le père, il a préparé un logement dans la cité de Lesage-Bullourde. C'était très difficile. Au quatrième étage, il y avait de l'eau ... Il fallait chercher de l'eau au rez-de-chaussée. Et puis c'était sale, c'était tout ce qu'on veut.Et en 1934, on a déménagé à la Bastille. Et puis là, jusqu'à la déportation, 39. Et c'est une chance qu'on a retrouvé le logement, il a été spolié, mais pas occupé.
- Jean-Baptiste PéretiéOn en reparlera tout à l'heure. Est-ce que vous avez des souvenirs de ce quartier de votre enfance ? Vous étiez beaucoup dans la rue ? Est-ce que vous aviez des copains avec qui vous jouiez ?
- Joseph RubinszteinOui, beaucoup de camarades, ils sont tous ou déportés morts ou alors tués à la guerre. J'ai encore deux camarades, il y en a un qui est à Chaland et l'autre qui est à Tulle. Le reste absolument pas.
- Jean-Baptiste PéretiéIl faut dire qu'à l'époque c'était un quartier dans lequel il y avait beaucoup de Juifs ?
- Joseph RubinszteinEnormément de Juifs. Dans la cité Lesage-Bullourde, il y avait énormément de Juifs. Ils ont tous été déportés.
- Jean-Baptiste PéretiéVous aviez une quinzaine d'années en 1933, est-ce que vous vous souvenez qu'à ce moment-là on a parlé d'Hitler chez vous ?
- Joseph RubinszteinC'est-à-dire ... mon frère aîné, lui, il lisait le journal yiddish. Lui était un peu au courant. Moi, non. On faisait pas attention, on était en France, on vivait bien à l'époque. C'était et puis...
- Jean-Baptiste PéretiéVous vous parliez yiddish avec vos parents ?
- Joseph RubinszteinOui. Si mes parents seraient en vie actuellement, ils ne parleraient pas le français. Ils étaient restés comme à l'époque dans un petit shtetl, un petit village de Pologne, quoi.
- Jean-Baptiste PéretiéVous avez, je crois, arrêté l'école à quatorze ans ?
- Joseph RubinszteinOui.
- Jean-Baptiste PéretiéPour devenir tapissier ?
- Joseph RubinszteinPendant un an, mes frères disaient : « Oh, tu as le temps de travailler ». Et j'ai commencé à travailler à quinze ans dans la tapisserie. Et je suis resté jusqu'au bout dans la tapisserie. C'est un métier qui m'a plu.
Chap. 1 : Une famille émigrée du XIème arrondissement de Paris
- Jean-Baptiste PéretiéEn septembre 1939, la guerre éclate ...
- Joseph RubinszteinOui, je me suis engagé, la guerre était arrivée le 3 septembre, je crois. Et je me suis engagé, j'étais pas français. Je me suis engagé, ils m'ont envoyé en Afrique du Nord, à Sousse, en Tunisie, dans la cavalerie. Et quand il y a eu l'Armistice de signée, ils nous démobilisaient, mais en zone libre. Il y avait zone occupée et zone libre à l'époque.
- Jean-Baptiste PéretiéDonc vous étiez engagé dans la Légion étrangère ?
- Joseph RubinszteinDans la Légion étrangère, oui. Alors j'ai un cousin qui était à Toulouse. C'était la zone libre. Il m'a envoyé un certificat d'hébergement, et ils m'ont libéré pour la zone libre. Et de la zone libre, je suis rentré en zone occupée et trois mois après je me suis fait prendre.Je ne pouvais rien faire en zone libre. Il n'y avait rien dans mon métier. C'était difficile. Et puis, quand j'étais à la Légion étrangère, il y a un rabbin qui voulait nous démobiliser. Mais c'était ... il fallait travailler la terre à la pioche pour deux fois rien. Alors j'ai pas voulu, je suis rentré en zone occupée.Mes parents, ils avaient...Son patron était à Lyon. J'ai été jusqu'à Lyon. Il m'a donné une somme de deux cents francs pour passer par un passeur. Je suis passé à Chagny, je suis rentré en zone occupée.Et quand j'ai vu, au-dessus de la gare, la croix gammée et tout. Ça, ça m'a donné quelque chose, ça m'a frappé, quoi. Et puis je suis rentré à Paris, par le passeur-là. On a passé la nuit, et puis on a commencé à ... pendant trois mois, je suis rentré vers le ... au mois de mai, il y avait déjà des arrestations de Polonais.
- Jean-Baptiste PéretiéAu mois de mai 1941 ?
- Joseph Rubinsztein41, le 14, je crois. Et alors moi qui étais polonais, c'était des Polonais, ceux qui étaient recensés, quoi.
- Jean-Baptiste PéretiéEst-ce que vous savez si votre famille s'était fait recenser ?
- Joseph RubinszteinPardon ?
Chap. 2 : L'engagement dans la Légion étrangère
Part. 2 : La déportation
- Jean-Baptiste PéretiéEst-ce que vous savez si votre famille s'était fait recenser ? Est-ce qu'elle était allée se faire enregistrer dans un commissariat, en tant que famille juive ?
- Joseph RubinszteinNon. Ils ont ... le 20 août 41, on a été arrêtés. Le père a été arrêté, moi-même, mais ils n'arrêtaient pas encore les femmes et les enfants. Moi quand j'étais déjà à Auschwitz, après j'ai appris que les personnes âgées étaient déportées et tout.Et j'étais à Drancy avec mon père.
- Jean-Baptiste PéretiéAlors, est-ce qu'on pourrait s'arrêter sur le moment, la journée où vous êtes arrêté le 20 août 41 ? Est-ce que vous pourriez me raconter la journée ? Comment se passe votre arrestation ?
- Joseph RubinszteinLe 20 août 41, bon, il y a eu des arrestations à domicile et puis le XIème arrondissement était cerné par les gardiens de la paix, par la Police, quoi. Et puis, ils nous ont emmenés à Drancy. On était au moins près de cinq mille, quatre-mille cinq cents, c'est difficile à ..... Et puis là, on est restés huit mois.
- Jean-Baptiste PéretiéJe crois que votre soeur vous a prévenus que le quartier était cerné ?
- Joseph RubinszteinAlors là, la petite soeur, le 20 août 41, elle a été au boulanger acheter quelques pains, et puis elle nous a prévenus : « On arrête les hommes ».Alors j'ai pris mon vélo. Je suis passé dans la rue du Pasteur Wagner là, et puis arrivé à la limite du boulevard Beaumarchais là, les flics m'ont demandé les papiers. Et ils ont vu la mention juive, mon nom, ils m'ont arrêté, puis ils m'ont accompagné.Ils étaient cinq flics-là. Ils m'ont accompagné jusqu'à la Bastille qui n'est pas loin. Le Pasteur Wagner n'est pas loin. Et puis dans le fourgon, et puis envoyé à Drancy. Drancy, c'était la pagaille encore. Rien n'était organisé. Alors moi j'étais à Drancy, au block 16, quatrième étage.
- Jean-Baptiste PéretiéEst-ce que vous savez comment votre père s'est fait arrêter ?
- Joseph RubinszteinAlors le père a été arrêté après. Et on s'est rencontré à Drancy, au quatrième étage où on était ensemble jusqu'au jour qu'ils ont pris les plus jeunes de dix-huit à quarante-neuf ans pour aller travailler soi-disant. Bon, on s'est planté.
Chap. 3 : L'arrestation avec le père
- Jean-Baptiste PéretiéOn va y venir. Est-ce qu'au moment de votre arrestation, vous avez pu prévenir votre famille ?
- Joseph RubinszteinNon, absolument pas. Absolument pas. On avait le droit d'écrire, mais il ne fallait pas écrire trop de choses non plus. Au début à Drancy, c'était triste. Il y avait beaucoup de malades. Il y avait des morts en pagaille. Alors un jour, le docteur Tisné de la Préfecture de Police qui est venu pour des sélections : ceux qui étaient valides, ceux qui étaient libérés, parce qu'ils libéraient ceux qui avaient au-dessus de soixante-cinq-soixante ans et les jeunes.Mon père est passé devant le docteur Tisné, il lui manquait quatre mois, il n'a pas été libéré. Moi j'étais...j'étais pas malade. Il nous regardait dans les yeux. Ils libéraient les malades.Après, il y a eu le ... je ne sais pas s'il était lieutenant Dannecker, le responsable du camp de Drancy, il a arrêté les sorties. Personne n'est libre. Libérer des Juifs ? C'est pas possible ! Parce qu'il n'était pas là au moment où il y avait des sélections par le docteur. Puis, ils ont arrêté les sorties.
- Jean-Baptiste PéretiéQu'est-ce qu'on vous donnait à manger dans les premiers temps à Drancy ?
- Joseph RubinszteinAh la la, c'était un vrai désastre. Deux cent cinquante grammes de pain, et une soupe où il n'y avait rien : quelques navets dedans, quelques rutabagas. Et moi dans mon block, ils donnaient deux morceaux de sucre, chose qu'ils ne donnaient pas dans tous les blocks, mais c'était juste de quoi ... pas assez pour mourir et trop pour vivre.
- Jean-Baptiste PéretiéOu plutôt pas assez pour vivre non plus ?
- Joseph RubinszteinPas assez pour vivre.
- Jean-Baptiste PéretiéEt alors, est-ce que vous pourriez décrire le camp de Drancy quand vous y arrivez ? Où est-ce que vous dormez par exemple ?
- Joseph RubinszteinBen on dormait par terre. Au début, il n'y avait pas les lits en bois, les châlits. Moi je dormais sur trois petites tables...des petites tables d'hôpitaux, là. Et puis petit à petit, ils ont fait rentrer les châlits au rez-de-chaussée puis au-dessus.
- Jean-Baptiste PéretiéQui vous gardait quand vous étiez à Drancy ?
- Joseph RubinszteinAlors au début c'étaient des Allemands, et ensuite c'étaient les gardes mobiles.
- Jean-Baptiste PéretiéFrançais ?
- Joseph RubinszteinBien organisés, on aurait pu fiche le camp comme dans le film « Sobibor ». Vous avez vu ce film ? Bien organisés, mais ... Ils auraient même pas tiré les gardes mobiles. C'étaient les gardes mobiles.Et petit à petit, le camp s'est organisé. Et puis voilà, dans chaque chambre, il y avait un responsable. C'est lui qui distribuait la soupe, enfin, la soupe, de l'eau chaude, quoi. Evidemment après un mois de ça, il y avait pas mal de décès, de malades.Et c'est là qu'ils ont commencé à laisser rentrer des colis. Ceux qui avaient de la famille dehors. Tous les quinze jours, on avait le droit à trois kilos. Ils nous ont redonné une petite santé, et après, ils nous ont déportés.On était cinq cent cinquante de Drancy et quand on est passé sur le quai de Compiègne, il en est monté autant. Ça faisait en tout onze cent douze. Je ne sais pas si on était arrivé à onze cent douze là-bas, parce que dans le train il y avait déjà pas mal de malades. Ils avaient passé l'hiver déjà au camp de Compiègne.
- Jean-Baptiste PéretiéOn va venir au convoi du 27 mars. A Drancy, vous êtes toujours resté avec votre père ?
- Joseph RubinszteinToujours resté avec le père.
- Jean-Baptiste PéretiéEt vous parliez avec lui de la situation ? Est-ce que vous parliez avec lui de la situation ?
- Joseph RubinszteinQu'est-ce que vous voulez ... on parlait juste de manger, quoi. Et puis il n'y avait rien.
- Jean-Baptiste PéretiéEt à ce moment-là, vous pouviez envoyer des cartes à votre famille ?
- Joseph RubinszteinOui, il y avait une carte tous les ... des cartes comme des prisonniers de guerre, quoi. Il ne fallait pas mettre trop de choses là-dedans. Ils nous ont donné le droit. Et puis, toutes les fenêtres qui donnaient sur rue, à Drancy, ils ont peint en bleu. On n'avait pas le droit de ...Enfin, il y avait une chose. On a passé l'hiver, là. Il y avait le chauffage central. Les wc étaient en bas, au rez-de-chaussée, quatre étages, et c'était le désastre.C'était le commencement. Ils y croyaient, ils vont être libérés, on parlait l'un à l'autre, on les libèrerait, on fera ça, on fera ceci, on fera cela, on mangera ceci. Et c'est drôle quand les gens ont faim, c'est là qu'ils commencent à parler.Et j'en ai retrouvé là-bas qui étaient dans la même chambre que moi à Auschwitz là, dans un piteux état.
Chap. 4 : L'internement à Drancy
- Jean-Baptiste PéretiéOn arrive au mois de mars 1942, est-ce que vous pourriez me raconter le plus précisément possible, la journée où vous partez, la journée du 27 mars 42 ?
- Joseph RubinszteinAlors, ils nous ont réunis en bas. Tous, on était réunis. Il faisait beau, c'était un vendredi. C'était un vendredi. Et dans le film « Le Premier convoi », j'ai dit que c'était jeudi, je me suis trompé. Après j'ai pu réussir à avoir un calendrier de 42. Et je me suis aperçu que c'était un vendredi.
- Jean-Baptiste PéretiéIl faut expliquer pour qu'on comprenne bien, que vous avez participé à un film documentaire qui s'appelle "Premier convoi", dont on parlera à la fin.
- Joseph RubinszteinAlors, j'avais ... Suzanne Bloch qui est sur le « Premier convoi », qui est une ... C'est à cause d'elle qu'on a fait le film.
- Jean-Baptiste PéretiéVoilà, on en reparlera tout à l'heure.
- Joseph RubinszteinAlors le 27 mars, tous ceux qui devaient partir, on était inscrits déjà. De chaque escalier, ils ont pris les plus jeunes, quoi. Soi-disant pour aller travailler. Drôle de travail ! Alors, on était alignés sur la place, là-bas. Et puis après, c'était Dannecker qui est venu. Il a ...
- Jean-Baptiste PéretiéDannecker, qui était le commandant du camp.
- Joseph RubinszteinCommandant du camp. Et avec les bus-là, il y avait à peu près cinquante par autobus, on a été à la gare de Drancy-Le Bourget, à l'époque.
- Jean-Baptiste PéretiéAu moment où vous partez, est-ce que vous êtes contents de quitter Drancy ?
- Joseph RubinszteinEh ben, on partait, on s'en allait de Drancy, on était contents. Alors on a embarqué, et dans ce train, train troisième classe-là, à l'époque les banquettes en bois, les portières qui s'ouvraient extérieurement, les anciens trains. Et puis de chaque côté du wagon, il y avait la Polizei allemande avec les plaques de Feldgendarmerie qui nous ont dit : « S'il y en a un qui s'évade, on fusille tout le wagon ! » Ça c'est toujours ... Alors il y en a qui ont eu peur.Et quand le train ... il est resté une bonne partie de la journée, de la nuit, c'était la garde mobile qui gardait. On est passé par Reims et il y en a un qui s'est évadé, c'est Rueff. Il s'est évadé, lui. Et puis, il y en a deux autres dans mon compartiment. Nous on avait peur. On est restés.
- Jean-Baptiste PéretiéQu'est-ce que vous avez pensé quand ils se sont évadés ?
- Joseph RubinszteinNon.
- Jean-Baptiste PéretiéVous vous êtes dit quand ils se sont évadés que vous aimeriez bien faire comme eux ?
- Joseph RubinszteinC'est-à-dire que, ils étaient deux. D'abord, c'était lui, il n'était pas dans mon compartiment, Rueff. Mais les deux autres, c'était deux Juifs nord-africains, qui étaient à Drancy dans la même chambrée que nous, qui ont ouvert les portières avant Reims. Le train roulait doucement. Ils se sont évadés et puis nous on est restés sur le ...On aurait pu aussi mais c'est toujours pareil, mais eux ils sont réellement forts. Et à ce qu'il paraît qu'après la guerre, j'ai un camarade qui les connaissait. Il m'a dit, ils sont en vie à Nice. Ils sont partis pour Nice.Et après Reims, ils ont bouclé les wagons et puis direction Auschwitz.
- Jean-Baptiste PéretiéJe vous interrompt une minute, est-ce que vous pourriez simplement, vous avez un petit reflet sur le coin de la bouche. Vous le tapotez avec un mouchoir, si vous voulez. Voilà. Merci beaucoup.Donc vous êtes dans ce train, je précise que c'est le premier convoi en direction d'Auschwitz
- Joseph RubinszteinLe premier convoi, oui.
- Jean-Baptiste PéretiéEt de manière exceptionnelle, c'est un train de voyageur puisque tous les autres trains sont des wagons à bestiaux.
- Joseph RubinszteinOui. Et quand on était en gare, on est restés un bon moment-là. A côté de nous, il y avait un train de militaires allemand. Ils nous ont demandé, on a ouvert la vitre. Ils nous ont demandé où on va. Alors, il y en a un qui a dit on va travailler en Allemagne. Alors les deux militaires, ils ont dit : « Drôle de travail ».Ils connaissaient la destination.
- Jean-Baptiste PéretiéVous avez dit tout à l'heure que ce 27 mars 1942 était un vendredi. Est-ce que dans le train, il y avait des hommes qui priaient ?
- Joseph RubinszteinNon, peut-être, mais dans mon compartiment, non. Vous savez, j'en ai vécu à Varsovie, avec des ... On trouvait un tas de choses, des «[tvilim]». On trouvait de tout. Ils ne priaient même plus.
- Jean-Baptiste PéretiéOn en reparlera puisqu'en 1943, vous êtes allé dans le ghetto de Varsovie après sa liquidation. Est-ce qu'on peut rester encore un petit peu sur le convoi lui-même ? Donc c'est un convoi dans lequel il n'y avait que des hommes ?
- Joseph RubinszteinOui, que des hommes.
- Jean-Baptiste PéretiéQuelle était l'ambiance ? Quelle était l'atmosphère dans le train ? Est-ce que vous étiez très inquiets ?
- Joseph RubinszteinAh vous savez, il y avait énormément de malades. Ceux qui sont montés de Compiègne là, ils ont passé l'hiver, dans un piteux état, là. Et ils avaient des colis. Ils ont tout mangé. C'était un vrai ... c'était triste de voir ça.
- Jean-Baptiste PéretiéEt vous à ce moment-là, vous n'étiez plus avec votre père ?
- Joseph RubinszteinAh non, le père est resté puisqu'ils ont ... de dix-huit à quarante-neuf ans, le premier convoi. Le père je ne l'ai jamais vu. Il a été déporté avec la mère et ma petite soeur, le 16 juillet. Ils se sont réunis, je ne sais pas où, certainement à Drancy et puis envoyés au Vél d'hiv. Le père a été déporté vers le 29 juillet.
- Jean-Baptiste Péretié1942.
- Joseph Rubinsztein1942, voilà. Alors j'ai vu dans le camp à Birkenau, quand j'y étais. Parce que j'en ai ... Birkenau, Auschwitz, deux fois comme ça. Alors, j'ai vu une cousine dans le camp des femmes. Avec un kapo, on allait chercher des pelles et des pioches dans le camp des femmes. Et il y a eu une cousine qui m'a reconnu. Elle m'a dit que mes parents ont été déportés, ma mère. Je savais tout de suite ce qui s'est passé puisque les chambres à gaz ont déjà été prêtes.
- Jean-Baptiste PéretiéDans le train toujours, est-ce que vous pouviez voir à travers les vitres ?
- Joseph RubinszteinOui, on pouvait voir, mais il y en a qui ne faisaient pas attention. Mais quand on est arrivés à Katowice, on a vu la neige. En France, il faisait beau, très très beau, le 27 mars, quand on est parti. C'était formidable. Et quand on est arrivés sur la route, on est arrivés à Katowice, on a vu la neige sur les toits-là, c'était plus la même température. C'était l'Est.Et là, quand on est descendus du train, quand j'ai vu les habits rayés... J'avais un camarade qui était avec moi, un camarade d'enfance, je lui ai dit quand j'ai vu ses habits rayés, j'ai dit : "Ca c'est le bagne, on n'en ressortira pas".Finalement, le camarade, il a attrapé le typhus et puis il a été à l'infirmerie. Et à l'infirmerie, les Juifs, ils piquaient dans le coeur avec du phénol et puis il ne fallait pas être malade. Moi ce qui m'a sauvé quand j'ai eu ces piqûres, ces vaccins, en Afrique du Nord, je n'ai jamais attrapé le typhus.
- Jean-Baptiste PéretiéEn fait quand vous étiez dans la Légion étrangère, vous avez été vacciné. Quand vous étiez dans la Légion étrangère, vous avez été vacciné contre le typhus ?
- Joseph RubinszteinOui. Typhus, malaria, dysenterie, je n'ai jamais attrapé tout ça. Et c'est ce qui m'a sauvé. Et ce qui m'a sauvé, j'ai changé. On a été à Varsovie.A Varsovie, on déblayait les briques, on nettoyait les briques, on trouvait différentes choses parmi les gravats. On trouvait des habits, différentes choses, il y avait les Polonais, des Polaks qui rentraient dans le ghetto avec leur charrette. On trafiquait avec eux. On leur donnait ceci, ils nous rentraient du pain, du saucisson, enfin, c'est ce qui m'a sauvé également.
Chap. 5 : 27 mars 1942 : le départ du premier convoi pour le camp d'Auschwitz
- Jean-Baptiste PéretiéOn pourra en reparler. Lorsque vous êtes arrivés à Auschwitz, vous n'avez pas eu à subir de sélection ?
- Joseph RubinszteinNon, il n'y avait pas de sélection à ce moment-là. Tout le monde est rentré dans le camp. Quand on est arrivé, ils nous regardaient comme des bêtes. Les officiers allemands, ils ont commencé à distribuer une soupe de rutabaga, il n'y avait pas assez de gamelles, ils se battaient pour ... C'était le désastre.
- Jean-Baptiste PéretiéComment ça se passe à l'arrivée à Auschwitz ?
- Joseph RubinszteinL'arrivée à Auschwitz ? Il fallait laisser tous les bagages, ceux qui avaient une valise, un bagage. Et puis, il fallait descendre en vitesse sans ça, ils tapaient dessus. Ils nous tapaient, des Polonais, ils nous tapaient dessus. Il fallait faire vite. On n'était pas bien estimés, les Juifs.C'était un des premiers convois. Il y a eu des ... un convoi de Juifs polonais de Auschwitz, parce qu'Auschwitz c'était une ville à 90 % de juifs. C'était le premier convoi de Juifs à part nous. Nous on a été déportés de France, mais eux, c'était, il en restait pas beaucoup. Ils ont été pris au début certainement.
- Jean-Baptiste PéretiéDonc lorsque vous arrivez, on vous donne des vêtements, j'imagine?
- Joseph RubinszteinAlors on est arrivés, et on a passé la nuit dans les sous-sols, et moi où j'étais, il y avait une montagne de cadavres. Alors il y en a qui, quand ils ont vu ça, ça les a ... On a passé la nuit dans les sous-sols.Et le lendemain matin, avec les SS, on a été... ils nous ont emmenés à Birkenau, à trois kilomètres. Ils nous ont mis dans un block-là.
- Jean-Baptiste PéretiéComment vous avez réagi, vous, quand vous avez vu ces cadavres ?
- Joseph RubinszteinMoi, je suis assez dur de caractère alors quand j'ai vu ces cadavres, j'ai dit ... Et il y en a qui devenaient ... ils tournaient de l'oeil. Et là, ça a commencé une vie assez dure.A Birkenau, ils nous ont mis dans un block où le ... un block c'est un baraquement. Et le chef de ce block, c'était un Allemand de droit commun. Je peux préciser : c'était un vrai tueur, un assassin.La première nuit qu'on a passée là-bas, il y avait déjà des morts. Il y avait cinq déportés. C'étaient des Russes, des Ukrainiens. Toute la nuit, alors ils nous ont mis dans des couchettes. Moi, on avait la couchette en bas sur la terre battue avec un peu de paille. Deux puis troisième..Et puis ils vous balançaient un pain. Ils vous lançaient un pain comme ça. Il fallait le couper en cinq. Quel travail !Et le lendemain matin : Debout ! Cinq-six heures du matin, debout! Il fallait sortir pour se mettre en rang pour nous compter. Alors ce qu'il y avait là-bas, c'est que le soir, on nous comptait et dans la nuit, il y avait des morts.Alors les portions de pain, ils se les partageaient. C'était comme ça que ça se passait. Et le lendemain matin, les morts étaient alignés dehors devant le block. Il y en a qui se trouvaient mal, mais il fallait subir. Il n'y avait pas de .....
- Jean-Baptiste PéretiéEst-ce qu'on vous a tatoués à l'arrivée ?
- Joseph RubinszteinA l'arrivée, ils nous ont tatoués à Auschwitz. Moi, ils m'ont tatoué. Je peux le montrer ? On le voit ?
- Jean-Baptiste PéretiéIls vous ont tatoué sur la poitrine.
- Joseph RubinszteinSur la poitrine et puis après ils nous ont tatoués sur la main.
- Jean-Baptiste PéretiéSur le bras, oui.
- Joseph RubinszteinLà sur la poitrine c'est avec des griffes. Ils vous mettaient le long de la baraque et puis, ça c'était à Auschwitz, déjà. Et après ça c'était un peu plus tard à la main. A la main, c'était avec un stylo, tandis que là c'est avec des griffes. Ça fait mal.
- Jean-Baptiste PéretiéIl faudrait que vous remettiez votre chemise. Ça va. Qu'est-ce vous avez pensé quand on vous a tatoué sur la poitrine ?
- Joseph RubinszteinC'était la fin. C'était comme du bétail. On a pensé : il fallait tout accepter ... il fallait jamais se révolter là-bas. On prenait un coup, il fallait accepter. Chose que j'ai toujours évitée : de prendre des coups.Je ne me précipitais pas quand il y avait du rabiot. Je ne me précipitais pas, parce que si on ne mettait pas notre gamelle juste devant le caisson de soupe, c'était des marmites norvégiennes. On prenait un coup alors ... Moi j'ai préféré m'en passer. Et alors à Birkenau c'était des marécages asséchés, il y avait des grenouilles. Il y en a qui mangeaient des grenouilles crues. Moi je pouvais pas.
Chap. 6 : L'arrivée au camp d'Auschwitz
- Jean-Baptiste PéretiéLorsque vous arrivez à Birkenau, le camp est inachevé, je crois, il était encore en construction. Quelle impression est-ce que vous avez eu en ...?
- Joseph RubinszteinIl n'y avait pas d'hygiène, pas du tout. Rien, rien, rien. C'était le désastre. Après dans le block, les Ukrainiens, il n'y en avait plus. Alors ils ont choisi dans notre convoi, des Juifs pour nettoyer le block, distribution de pain. Ils ont pris la maladie du chef de block.
- Jean-Baptiste PéretiéC'est quoi la maladie du chef de block ?
- Joseph RubinszteinIls nous tapaient dessus
- Jean-Baptiste PéretiéÇa veut dire qu'il y avait parmi les Juifs, des kapos ?
- Joseph RubinszteinAussi.
- Jean-Baptiste PéretiéEst-ce que vous pourriez en parler ?
- Joseph RubinszteinIl y avait, parmi les Juifs, des assassins. Mais après, il y a eu des règlements de comptes, ils les ont tués tous. Ah c'était ...
- Jean-Baptiste PéretiéQui les a tués ?
- Joseph RubinszteinMoi je ... Alors une fois, attendez. Une fois, ils ont demandé des ébénistes. Alors j'ai levé la main. Smaer aussi, il a levé la main, je ne le connaissais pas, moi, là-bas. Et ils nous ont envoyés à Auschwitz.Jacques Smaer était un autre membre du premier convoi.Et puis, ils nous ont mis dans le block 11 à Auschwitz pour une quarantaine ou quelques jours. Et puis après, il y a eu Mengele qui a fait la sélection. Alors, il nous faisait courir, déshabillés, il nous faisait courir pendant à peu près une vingtaine de mètres là, aller-retour, à gauche, à droite.A gauche, c'était pour l'extermination. Là, les chambres à gaz étaient prêtes déjà. Et puis alors, évidemment, après un mois, ils nous ont envoyés à Auschwitz même. Ils ne m'ont pas mis dans l'ébénisterie, sans ça moi qui étais jamais ébéniste, je serais mort. Le chef de block, il a dit : "S'il y en a un qui revient, je le tue".Alors, on eu de la chance, ils ne nous ont pas mis dans les ébénistes. Et ils nous ont mis dans des blocks à Auschwitz, il y avait toilettes, y avait tout, un lit chacun .....
- Jean-Baptiste PéretiéA Auschwitz I ?
- Joseph RubinszteinA Auschwitz, tandis qu'à Birkenau, il n'y en avait pas.
- Jean-Baptiste PéretiéEst-ce qu'on peut revenir sur ce dont vous parliez, les règlements de comptes ?
- Joseph RubinszteinLes règlements de comptes, il y en avait cinq. Ils étaient cinq. C'est eux qui faisaient le ménage, qui faisaient tout. Et ils nous mettaient en rang le matin. Quand il pleuvait pour sortir du block à coup de bâtons, oh mais c'était terrible. Moi je les évitais. Et puis après, j'ai entendu dire, moi j'étais à Auschwitz, qu'ils les ont tous liquidés, les détenus eux-mêmes.
- Jean-Baptiste PéretiéEst-ce que vous savez comment ils l'ont fait ?
- Joseph RubinszteinAh ! Je ne peux pas vous le dire. Je ne sais pas exactement.
Chap. 7 : Les règlements de compte au camp de Birkenau
- Jean-Baptiste PéretiéDonc après Birkenau, vous revenez à Auschwitz I ? Qu'est-ce que vous faites à ce moment-là ?
- Joseph RubinszteinA Auschwitz ? Dans la terrasse. J'ai travaillé huit mois dans la terrasse. J'étais amaigri. Si il y avait eu une sélection, j'aurais été ... j'étais mort. Il n'y a pas eu de sélection. Puis on était dans des blocks, il y avait un mélange, il y avait des Polonais, des aryens, quoi.Et alors, vers le mois de novembre, décembre, novembre, oui, j'ai été choisi pour aller dans un centre de tri qu'on appelle le Canada.
- Jean-Baptiste PéretiéOn va venir à ce moment où vous êtes choisi pour aller au Canada, est-ce que vous pourriez me raconter comment se passaient les journées lorsque vous étiez, disiez-vous à la terrasse ? C'est-à-dire les travaux de terrassement.
- Joseph RubinszteinÇa se passait, il fallait travailler, quoi. On allait en kommando dans des chantiers entourés de SS. Et puis, à midi, ils distribuaient la soupe et le soir, quand on rentrait, c'était deux cent cinquante grammes de pain avec un petit bout de margarine et des fois une cuillérée de confiture.
- Jean-Baptiste PéretiéC'était quoi les travaux qu'on vous faisait faire ?
- Joseph RubinszteinOh la terrasse, il fallait faire plat. Ils faisaient de la canalisation, alors fallait ... les canalisations, on faisait les grands rouleaux, dans du béton, dans des moules. Et puis, j'ai eu cette chance que je suis rentré au Canada, là.On recevait toutes les affaires des chambres à gaz. Alors il y avait de quoi manger, il y avait ... Il fallait manger, pas devant les SS. Le SS qui faisait les cent pas-là. Mais on voyait bien qu'on avait des joues un peu plus gonflées que les pauvres types qui étaient dans le camp.
- Jean-Baptiste PéretiéAlors est-ce que vous pourriez expliquer ce que c'était le Canada?
- Joseph RubinszteinC'est un centre de tri. Toutes les affaires des chambres à gaz venaient chez nous.
- Jean-Baptiste PéretiéC'est-à-dire toutes les affaires qui étaient récupérées?
- Joseph RubinszteinLes affaires qui étaient ... parce qu'en chambre à gaz, ils se déshabillaient. Ils étaient tous nus. Toutes les affaires : la nourriture que le déporté apportait. Tout l'argent qu'on mettait dans les caisses. Moi ce que je faisais, c'est quand il y avait des dollars, je les déchirais en petits morceaux et puis il y avait une grande fosse à aisance là. On les jetaient là. Fallait pas se faire prendre.
- Jean-Baptiste PéretiéPourquoi vous faisiez ça ?
- Joseph RubinszteinL'argent français, l'argent allemand, l'argent tout. Et puis les habits, il fallait trier. Les chaussures, il fallait les trier, mettre la paire. Parce que là-bas aux chambres à gaz, ils les mettaient n'importe comment. Ça arrivait par camions. Toutes les affaires et les beaux costumes, c'était pour les SS, pour les nazis. Alors quand il y avait un beau costume, on le déchirait en petits morceaux. Ça faisait des chiffons, quoi. Tout était récupéré.
- Jean-Baptiste PéretiéEt vous déchiriez l'argent pour éviter que les Allemands ne le récupère ?
- Joseph RubinszteinNaturellement. Tout le monde ne faisait pas la même chose, m'enfin, il ne fallait pas se faire prendre. Sans ça, vous alliez à la compagnie disciplinaire. Puis là, vous ... on sortait. Et puis, le soir on était fouillés, quand on rentrait.Alors, quand j'étais au centre de tri-là, il y avait un SS qui avait trouvé une bouteille de Cognac. Il était saoul. Le chef de ce kommando-là, un gradé-là, il a été appelé à la kommandantur. Alors l'autre SS qui était saoul là, il m'a fait rentrer avec un jeune dans la fosse à aisance, pendant au moins une heure et demi comme ça. Et il savait à quelle heure qu'il venait, il m'a fait sortir.On travaillait avec les femmes. Les femmes s'occupaient de la lingerie. Elles m'ont lavé mon habit rayé, ma chemise, tout. Et puis, ni vu ni connu. Sans ça le chef de ce kommando-là, il était encore impeccable, on ne peut pas dire. Il l'aurait envoyé au front.Et quand je suis sorti, c'était au mois de juin. Il faisait beau. C'était en 42, euh ..... Oui, à peu près. Enfin, je m'en suis bien sorti, quoi. Et puis avec son revolver, il nous a fait rentrer dans la fosse.Alors il y avait un jeune qui était avec moi. Il avait peut-être seize ans. Il ne voulait pas rentrer. Je lui ai dit : « Rentre » en yiddish. Je lui ai dit : « Rentre », c'était un petit Juif polonais, de Pologne que je veux dire. Et puis finalement, il est rentré. Il fallait tout accepter. Sans ça il était saoul, il aurait pu tirer encore.Moi j'ai vécu là-bas avec une haine. J'ai dit : je m'en sortirai peut-être. Et finalement...Et alors après, vers la fin de l'année 4... non au début de 43, ils ont changé le ... Canada, les ...
- Jean-Baptiste PéretiéEst-ce que le Canada, c'était considéré comme un « bon kommando »?
- Joseph RubinszteinC'était un bon kommando. Il fallait travailler.
- Jean-Baptiste PéretiéEst-ce que vous, ça vous permettait par exemple de récupérer des vêtements pour vous ?
- Joseph RubinszteinAh non, pour nous, on n'avait pas de vêtements. Quand arrivait l'hiver, évidemment, on voyait un pull-over un peu plus épais que ce qu'ils nous donnaient, on le prenait. Il ne fallait pas se faire prendre. Un peu tout, quoi.
- Jean-Baptiste PéretiéEt est-ce que ça vous permettait de faire du troc avec d'autres détenus ?
- Joseph RubinszteinNon, absolument pas. Le soir, on était fouillés. On était fouillés. Et puis, après, une fois qu'on s'était bien remis en santé, moi personnellement et beaucoup d'autres, parce que sur les survivants-là, je suis le seul qui a été au ... qui travaillait au Canada.
- Jean-Baptiste PéretiéSur les survivants du premier convoi ?
- Joseph RubinszteinDu premier convoi. Les autres, je ne sais pas ce qu'ils faisaient. Mais vous savez, s'ils s'en ont sorti, c'est pas avec la ration normale. Avec la ration normale, quinze jours et puis c'était fini.
- Jean-Baptiste PéretiéEt vous au Canada, vous trouviez parfois de la nourriture dans les effets des déportés ?
- Joseph RubinszteinAh oui, c'est là qu'on a repris un peu de santé, quoi. Et après quand ils ont changé le Canada, ils ont changé les gars, automatiquement, ils nous ont envoyés vers le mois de septembre à peu près, 43, pour Varsovie. On ne savait pas où on allait. En cours de route, il y avait dans chaque wagon, il y avait deux SS qui prenaient le milieu et puis de chaque côté, on était vingt-cinq.
Chap. 8 : A Auschwitz I : travaux de terrassement et «Canada» (centre de tri)
- Jean-Baptiste PéretiéOn va venir au moment où vous partez pour Varsovie. Est-ce qu'à un moment vous n'êtes pas aussi affecté au tri des bagages sur la rampe à Birkenau?
- Joseph RubinszteinAlors sur la rampe...
- Jean-Baptiste PéretiéC'est-à-dire là où arrivent les Juifs ?
- Joseph RubinszteinNous on travaillait au ... quand il y avait beaucoup de convois, on a été pris pour aller à la rampe.Alors il y a un convoi qui arrive, de Polonais. Alors nous on était là pour les faire descendre, quoi. Ils mettaient un petit tabouret. Ils descendaient et de chaque côté du train il y avait des SS, de chaque côté. Et puis, il y en a un qui me demande : « Où on est là ? » Alors, on n'avait pas le droit de parler. Il y avait un vieux qui ne tenait plus sur ses jambes, là.Ils les mettaient par cinq, en rang comme ça. Il y avait une boule de pain, vous savez, les grands pains ronds, qui a roulé à côté du SS. Alors le petit vieux il a dit : « Le pain. » Il l'a montré avec le doigt. Vous savez ce qu'il lui a répondu le SS ? : « T'en a plus besoin. » C'était des SS ukrainiens. « T'en a plus besoin », qu'il lui a dit. Puis, il y en a un autre qui m'a demandé, il m'a demandé : « Où on est là? » J'ai dit : « C'est pas bon ».Et puis, à un autre convoi, c'était des convois grecs, les Juifs de Grèce. Alors, moi j'étais étonné. J'ai été trois fois à la rampe, au quai de débarquement. Alors je vois des bronzés comme ça. Les Grecs, ils étaient ... alors, ils parlaient le français, il y en avait de Salonique qui parlaient français.Alors : « Où on est ici ? » Il me demande : « Où on est ? » Je lui ai dit : « C'est pas bien ici, tu sais ». Et puis, ils y croyaient pas. Quand ils étaient dans le camp, ils voyaient la fumée, les flammes qui sortaient des crématoires, ils y croyaient pas que c'était ...Et puis alors, une autre fois, c'était un train de Pologne, un train polonais, mais c'était pas un train à bestiaux. C'était un vrai train. Il y en a un qui était dans les wc, il avait fermé, il s'était pendu. Alors on ne pouvait pas l'ouvrir. On a appelé le chef de garde. Et puis, il a ouvert. On a décroché le pendu.
- Jean-Baptiste PéretiéVous, quand ces déportés arrivaient sur la rampe, vous avez essayé de leur dire qu'ils risquaient d'aller au gaz directement ?
- Joseph RubinszteinOn ne pouvait pas parler. Peut-être, il y en a un qui leur a dit. Ça c'était une chose comme dans «Sobibor» par exemple. C'est le premier camp que je vois où les femmes étaient mélangées avec les hommes.
- Jean-Baptiste PéretiéQu'est-ce que vous risquiez si vous leur parliez ?
- Joseph RubinszteinEh ben on risquait ... Ça dépend qui il y avait, le kapo ou les SS. On risquait gros. Moi je ne faisais pas cette bêtise-là. Je leur disais simplement, c'est pas bien en baissant la tête.Et puis, on est restés à Varsovie. A Varsovie, on est restés environ huit mois, dix mois. Quand les Russes avançaient, ils nous ont ... Alors là, à Varsovie, on était bien.
Chap. 9 : Sur la rampe à Birkenau
- Jean-Baptiste PéretiéEst-ce que vous pourriez me raconter le trajet entre Auschwitz et Varsovie ?
- Joseph RubinszteinAbsolument pas. Absolument pas. Si, le train s'est arrêté un moment. A un moment, il y avait la petite fenêtre, dans les trains à bestiaux, était pas grillagée. Il y a eu une évasion là. Puis ça tirait en plein ... pas de mon wagon, d'un autre. Ils se sont évadés, il en a beaucoup qui ont été tués et puis ... mais pas tous
- Jean-Baptiste PéretiéEst-ce qu'on vous avait dit où on vous emmenait lorsque vous avez quitté Auschwitz ?
- Joseph RubinszteinIls ne nous ont pas dit au début, mais en cours de route, les SS qui nous gardaient, il a dit : «Vous allez à Varsovie pour déblayer». Ils appelaient ça en allemand aufräumen, trier, quoi.
- Jean-Baptiste PéretiéEt vous lorsque vous avez compris que vous quittiez Auschwitz, qu'est-ce que vous avez pensé ? Vous vous êtes dit, ça ne pourra pas être pire.
- Joseph RubinszteinPardon ?
- Jean-Baptiste PéretiéLorsque vous avez quitté Auschwitz,
- Joseph RubinszteinOui
- Jean-Baptiste PéretiéEst-ce que vous vous êtes dit que ça ne pourrait de toute façon pas être pire ?
- Joseph RubinszteinEt voilà, exactement. Exactement ce qu'on pensait. C'est-à-dire qu'on ne savait pas où on allait. On disait, ça n'irait pas plus mal.On était à peu près mille en trois fois, quand on est arrivés à Varsovie, dans le ghetto, il n'y avait plus personne. Il y avait le ... le camp était préparé. Dans le ghetto même, il y avait le camp, il était préparé.
- Jean-Baptiste PéretiéEn fait le ghetto avait été liquidé en avril-mai 43.
- Joseph RubinszteinC'est ça, oui. Alors nous on allait chercher, au début, avec une voiture à bras, du bois pour les cuisines. Et les SS, la nuit, ils faisaient des rondes. Ils trouvaient dans le camp des Juifs, ils les tuaient sur place.
- Jean-Baptiste PéretiéDes Juifs qui étaient restés cachés dans le ghetto ?
- Joseph RubinszteinCachés dans les bunkers. Ils avaient contact avec des Polonais. La nuit, ils sortaient, tous. Et nous, on allait les chercher avec la voiture-là. On les amenait au ... Il y avait la prison à Varsovie, une prison de Polonais.
- Jean-Baptiste PéretiéDonc, en fait les Allemands avaient mis en place un camp dans le ghetto, pour que les détenus dont vous faisiez partie, puissent déblayer le ghetto ?
- Joseph RubinszteinOui, ils récupéraient les briques. Les briques servaient pour des firmes. Les Polonais, ils venaient dans le ghetto avec leur charrette. Et nous, on leur chargeait au début des briques et puis, on trouvait différentes choses, des habits, des ... On trafiquait avec eux. Ils nous rentraient du pain, de la margarine, du saucisson. Ça nous a permis un peu de ... pendant jusqu'à huit mois après.
- Jean-Baptiste PéretiéVous saviez quand vous étiez dans le ghetto de Varsovie qu'il y avait eu une insurrection quelques mois avant ?
- Joseph RubinszteinNon. Non. On ne savait pas. On était à peu près trois mille, trois mille cinq cents là. Et un moment, ils nous ont choisis là, nous les anciens, parce qu'il y avait beaucoup de Grecs, et beaucoup de ... qui sont arrivés après. Alors on était trois, ils nous ont mis dans un kommando où il fallait brûler les morts. Il y avait le typhus là-bas. Alors, on faisait des pyramides avec les cadavres, tout et tout. C'était un kommando comme un autre.
- Jean-Baptiste PéretiéVous vous faisiez partie des anciens, quel était votre numéro ?
- Joseph Rubinsztein28.265 et ça a commencé à 27.000 et quelques, le même convoi. Quand il y avait là-bas un mort parmi..., le numéro n'était pas remplacé. Ça suivait toujours. Alors, il y avait peut être le numéro 28.000 et quelques, après c'était une autre série. Sur les 28.000 et quelques, il y avait peut être 10.000 parce que les numéros étaient pas remplacés.
- Jean-Baptiste PéretiéEst-ce que le fait d'avoir « un petit numéro », c'est-à-dire d'être un ancien, est-ce que ...
- Joseph RubinszteinUn avantage ?
- Jean-Baptiste PéretiéOui
- Joseph RubinszteinMalgré tout quand on était à Auschwitz, avoir un vieux numéro comme ça, les Polonais, ils disaient : « T'es pas encore mort ? » en allemand. Il y avait quand même un petit respect qu'on a tenu, quoi, puisqu'on n'était pas nombreux.Moi je ne les connaissais pas, tous. J'en connaissais un seul, c'est Pressman, celui qui est à Perpignan. Mais Simon Gutman, Smaer, tout ça, je ne les connaissais pas.
- Jean-Baptiste PéretiéC'est-à-dire ceux qui ont survécu de votre convoi et qui sont encore vivants aujourd'hui. Est-ce qu'on peut revenir au ghetto de Varsovie ? Lorsque vous brûlez les morts, qu'est-ce qui se passe dans votre tête ? Est-ce que vous vous dites que le prochain ce sera vous ?Vous vous êtes dit que c'était un kommando comme un autre ?
- Joseph RubinszteinAlors, au début, on a été choisis trois, et en plus il y avait un kapo, c'était un Allemand du droit commun. C'était une ordure. Comment on peut appeler ça ? C'était quelqu'un de ... un assassin. Il fallait travailler dur avec lui, il fallait monter les cadavres et tout ça.Alors, il disait : « Je suis content quand un Juif brûle ». Et il a attrapé le typhus. On était contents. Il n'y avait plus de kapo. On faisait le travail nous-mêmes.
- Jean-Baptiste PéretiéEt vous l'avez brûlé ?
- Joseph RubinszteinC'est ce qu'on a fait. On l'a mis en haut pour qu'il brûle le plus longtemps possible. Et jusqu'au bout. Alors au début, il y avait beaucoup de morts. Et cent soixante quinze morts, on a fait une pyramide, c'est triste à raconter. Ça ne fait rien puisque c'est vrai.Au début, il y avait une pyramide de cent soixante-quine, c'était l'hiver. Il y avait des poux. Il n'y avait pas beaucoup d'hygiène. Et ensuite une pyramide de cent vingt à peu près. Et après, petit à petit l'été arrivait, il n'y en avait presque pas.Et nous, on était bien. Dans ce kommando-là, on était tranquille. On nous fichait la paix. On dépendait de l'infirmerie. On avait notre lit tranquille, et puis on avait droit à une double ration de pain. Alors plus ce qu'on organisait nous-mêmes, ça nous a fait .....
- Jean-Baptiste PéretiéQu'est-ce que ça voulait dire : organiser ?
- Joseph RubinszteinOrganiser, ça voulait dire, chez les Allemands. Organiser, c'était se débrouiller. En français, on dit démerder. C'est enregistré tout ça ? Ouille aïe aïe. Ça ne fait rien ?
- Jean-Baptiste PéretiéÇa voulait dire que vous pouviez trouver des vêtements, de la nourriture, faire du troc ?
- Joseph RubinszteinOui, ils trafiquaient avec les Polonais qui rentraient dans le ghetto. Eux aussi, ils avaient une carte, ils travaillaient pour des firmes. Alors au début, on était dans les briques, dans les métaux puisqu'il avait des démolitions. C'était incroyable le ghetto. C'était que des gravats.Et puis, il y en a qui nous possédaient. On trouvait différentes choses, on trouvait des dentiers en or. On ne pouvait pas se permettre de garder ça. On trafiquait avec eux. Ils nous rentraient ce qu'on voulait.
- Jean-Baptiste PéretiéQu'est-ce qu'ils vous rentraient par exemple ?
- Joseph RubinszteinPardon ?
- Jean-Baptiste PéretiéQu'est-ce qu'ils vous rentraient par exemple ?
- Joseph RubinszteinIls nous rentraient du pain, du saucisson, de la margarine, du lard. Avec ça on ... et la soupe, ça faisait, c'était complet, quoi.
Chap. 10 : Le Kommando de nettoyage du ghetto de Varsovie
- Jean-Baptiste PéretiéEst-ce qu'à Auschwitz et dans le ghetto de Varsovie, il y avait une solidarité entre les détenus ?
- Joseph RubinszteinIl y avait ?
- Jean-Baptiste PéretiéUne solidarité entre les déportés.
- Joseph RubinszteinMoi, je n'ai pas connu de solidarité. Moi j'ai connu simplement quand on se faisait un ami ou deux, c'est tout, où on se tenait bien, on s'aidait. Mais sans cela, la solidarité...C'est comme il y en a qui disent qu'il y avait la résistance et c'est possible. Mais moi, je n'ai jamais fait attention à cela, je ne cherchais qu'à tenir le coup et à ne pas prendre des coups.
- Jean-Baptiste PéretiéC'étaient qui ces amis dont vous avez parlé ?
- Joseph RubinszteinLes amis sont décédés. Il y avait un ami, oui, il s'appelait Maurice Seruya, il est de notre convoi. Il est mort en 67. Et puis, l'autre ami c'était Pressmann qui est à côté de Perpignan. Sans ceux-là, les autres, je ne les connaissais pas. Parmi les onze, je ne les connaissais pas, je ne connais juste que Pressman.
- Jean-Baptiste PéretiéEt avec ces deux amis, vous parliez par exemple ?
- Joseph RubinszteinOn s'entr..., on s"aidait, mais c'est pour la question de tenir le coup, c'est tout, et pas de...
- Jean-Baptiste PéretiéCela consistait en quoi cette entraide ?
- Joseph RubinszteinOn était...Il y en a un qui faisait attention à l'autre : ne fais pas ceci, ne fais pas cela. Tâche de tenir le coup et de ne pas attraper le typhus. Si, il y en a un qui a attrapé le typhus, mais c'était à Varsovie et il a guéri gentiment, parce qu'à Varsovie, c'était déjà plus calme et un peu plus humain. Et puis, c'est celui qui est décédé en 67.Et puis l'autre à Perpignan, il a aussi eu le typhus, mais c'était à Birkenau. Parmi les sept survivants, il n'y en a pas beaucoup qui l'ont eu, par exemple Gutman.
- Jean-Baptiste PéretiéSimon Gutman.
- Joseph RubinszteinGutman, il a eu le typhus et je ne sais pas comment il s'en est sorti. Darty aussi, il était jeune et je ne sais pas comment il s'en est sorti. Nathan Darty. Mais moi, je ne les connaissais pas là-bas, je ne connais juste que Pressman.
- Jean-Baptiste PéretiéEn fait, ce sont des hommes qui étaient avec vous dans ce premier convoi mais que vous n'avez connus qu'après ?
- Joseph RubinszteinAprès, c'est Gutman qui a essayé de nous retrouver dans les associations de déportés, à l'époque, c'était la rue Leroux. Et il a pu nous joindre et on a commencé à se réunir et à faire un repas. Comme je vous l'ai dit, au début, on se connaissait pas, voilà. On s'est connu aux repas.
- Jean-Baptiste PéretiéVous vous êtes ensuite vus régulièrement et c'était tous les ans. Je crois que vous faisiez un repas avec les anciens du premier convoi ?
- Joseph RubinszteinOui, régulièrement pendant quatre ou cinq ans et cela fait deux ans, je revois Gutman et Smaer de temps en temps, les autres je ne les vois pas.
- Jean-Baptiste PéretiéAlors, vous disiez qu'il n'y avait pas vraiment de solidarité à part avec deux amis dont vous avez parlé. Est-ce qu'il y avait en revanche des rivalités entre les déportés ?
- Joseph RubinszteinDes rivalités, non, on était tous dans la même... Moi, j'ai essayé de faire des amis là-bas, mais ils ne tenaient pas le coup les pauvres. Quand j'en voyais par exemple de mon quartier qui arrivaient là-bas. Je les ai reconnus. Il me dit : « Comment que c'est là ? » Je lui dis : « C'est triste, tu sais. » Et puis, je ne le revoyais plus, alors je me dis : « Où il est ? »Parce que quand il y avait les sélections et quand on est privé de nourriture, les jambes enflent : l'oedème. Et puis, quand il y a la sélection par Mengele, c'était fini.
Chap. 11 : Les amis
- Jean-Baptiste PéretiéC'est-à-dire qu'ils étaient trop faibles et qu'ils étaient donc envoyés à la chambre à gaz ?
- Joseph RubinszteinTrop faibles et trop maigres, parce qu'avec ce qu'ils donnaient à manger, moi, je ne sais pas comment j'ai tenu le coup huit mois. Huit mois avec la ration normale avant d'aller au Canada, je me demande comment j'ai tenu. S'il y avait une sélection par Mengele, c'était fini. Tous les soirs, du Revier, de l'infirmerie qu'on appelait le Revier, il y avait des charrettes de cadavres en masse.C'était incroyable, parce qu'un Juif qui rentrait au Revier, il restait une nuit et puis le lendemain, c'était fini. Les Juifs n'étaient pas soignés, à moins quelques exceptions comme ça. Vous savez, il y a toujours les petites combines dans n'importe quelle situation, alors celui qui s'en sort, eh bien...
- Jean-Baptiste PéretiéLorsque vous étiez à Birkenau, à quel moment est-ce que vous avez compris qu'il y avait des chambres à gaz et qu'elles servaient à exterminer en masse les Juifs qui arrivaient ?
- Joseph RubinszteinC'est-à-dire qu'on se basait un peu... Quand j'étais au Canada, je voyais toutes ces affaires arriver. Toutes ces affaires là. Et alors, les cheminées et les flammes qui sortaient, c'était incroyable. A côté de notre camp, il y avait un camp de Gitans où il y avait peut-être quatre mille ou quatre mille cinq Gitans. Ils sont restés un bon moment. Là c'était quand j'étais à Birkenau.Et un jour, ils les ont exterminés, on en parle souvent dans les commémorations. Alors là évidemment, une nuit où on dormait dans un block, tout cela c'est après avoir été au Canada, dans un block, qu'on voyait les flammes sortir des cheminées, c'était incroyable, incroyable. C'était terrible, terrible, terrible.
- Jean-Baptiste PéretiéEt vous saviez que les Juifs qui arrivaient étaient pour une part immédiatement passés à la chambre à gaz ?
- Joseph RubinszteinEh bien oui. A un moment, on ne sortait plus du camp et il y avait à peu près une trentaine de mille ou trente-cinq mille Juifs qui ont été déportés de leur ghetto en Pologne. Toute la nuit, ça flambait, ça brûlait, ça brûlait. Il y avait des coups de revolver, il y en a qui ne voulaient pas rentrer dans les chambres à gaz. Et puis le lendemain, un silence complet.Pendant plusieurs jours, comme ça. On a été...On a été au courant de tout ce qui se passait. Aucun kommando ne sortait du camp pour aller travailler. Vous savez, quand on est à la rampe...A la rampe, quand il y a des convois qui arrivent, on sait d'où que cela vient. Pendant trois ou quatre fois, j'ai été à la rampe et puis je voyais bien ce que c'était.Il y avait des Hollandais qui sont venus de toute l'Europe occupée, sauf des Roumains. Des Roumains, il n'y avait pas, ils les ont exterminés dans le pays même. Mais de Hollande, de Belgique, de Luxembourg, de France et d'Allemagne.
- Jean-Baptiste PéretiéDonc, quand vous étiez sur la rampe, vous voyiez arriver les hommes, les femmes, les enfants, les vieillards ?
- Joseph RubinszteinTous. Ils descendaient du wagon les femmes et les enfants d'un côté et les hommes qui rentraient au camp d'un côté. Et puis, il y avait des camions aussi, et ceux qui montaient dans les camions : directement la chambre à gaz. Evidemment après les convois, ils sont fatigués, les gens, alors ils se précipitent sur les camions. Mais sur les camions, ils ne le savent pas, ça va directement au crématoire. On ne pouvait pas leur dire : mettez-vous dans les rangs. Il y avait des sélections : les vieux, les plus jeunes...
- Jean-Baptiste PéretiéVous ne pouviez pas leur dire de se mettre du bon côté entre guillemets.
- Joseph RubinszteinVoilà. Tandis que nous, quand on est arrivés, il n'y avait pas de sélection. Tout le monde rentrait au camp. Il y avait peut-être des morts parmi nous.
- Jean-Baptiste PéretiéIl y en quand même eu beaucoup, parce que je crois qu'au bout de cinq mois de camp, il ne restait de votre convoi de mille cent douze hommes, il ne restait que cent quatre personnes.
- Joseph RubinszteinUne centaine, oui. Ça je ne le savais pas, je l'ai appris par la documentation.
Chap. 12 : La mort
- Jean-Baptiste PéretiéUne fois que vous avez quitté le ghetto de Varsovie, est-ce que vous êtes retournés à Auschwitz ?
- Joseph RubinszteinNon, on a été directement à Dachau et de Dachau, un mois, douches, désinfectés et dans les petits camps environnants. Moi, j'ai été à Kaufering et c'est de là que, j'étais à côté, je ne me rappelle plus le petit pays, où j'ai été rapatrié.
- Jean-Baptiste PéretiéQu'est-ce qu'on vous faisait faire dans ce camp ?
- Joseph RubinszteinPareil, canalisation... Au début, on était gardés par la... par les...Ils sont en kaki, vous savez, l'Organisation Todt et puis après, ils ont mis les SS. Mais quand on allait travailler, c'était avec eux, pour eux.
- Jean-Baptiste PéretiéLes conditions de travail vous ont semblé moins dures ?
- Joseph RubinszteinNon, là c'était mieux qu'à... Nous qui sortions de Varsovie, on était bien portant, alors ça allait. Pour nous, c'était...Mais il y en avait qui venaient d'Auschwitz, ils n'étaient pas tellement en bonne santé. Il y avait des morts quand même. Nous, on travaillait jusqu'au mois de mai où les Américains sont arrivés.
- Jean-Baptiste PéretiéVous avez dit qu'avant d'aller dans ce camp annexe, vous êtes passé par Dachau. Quelle impression vous a fait ce camp ?
- Joseph RubinszteinOn a vu énormément de civils. Il y a eu des arrestations terribles. C'était, je pense, avant le putsch qui y avait eu où ils ont voulu assassiner Hitler.
- Jean-Baptiste PéretiéEn juillet 1944.
- Joseph RubinszteinOui. Alors, il y a eu beaucoup d'arrestations de civils. On était étonné de voir tant de civils à Dachau. Alors nous, dans le convoi de Varsovie...Pas de Varsovie, de Kutno à côté de Varsovie, on a embarqué là. On a été à pied de Varsovie à Kutno. On avait soif, c'était au mois de juin, je pense. On avait soif, terriblement. Sur la route, on était trois mille. Il y avait des malades qui étaient dans le camp, ils les ont exterminés, ils les ont tués et puis ils les ont donnés aux Paviak. C'est les Juifs qui brûlaient les Polonais, qui les ont brûlés.Nous, sur la route, on est arrivés, on était assoiffés terriblement et on est passés sur une rivière là-bas, alors ils ont vu qu'on ne pouvait pas tenir le coup. Alors ils ont braqué sur le parapet des mitrailleuses avec des lunettes et puis ils nous ont fait descendre par cinq cents dans la rivière pour boire. Alors là, un litre, deux litres d'eau, c'était formidable.Et après, on a...ceux qui allaient trop loin, ils tiraient dessus. Après, on est arrivés dans un champ où on a passé la nuit, et toute la nuit, on était encore assoiffés. On creusait à quatre-vingt-dix centimètres et on trouvait de l'eau. Il y en a qui buvaient, ils avaient le petit chapeau qu'ils passaient et puis ils buvaient comme cela toute la nuit.Le lendemain matin, il y en a qui se sont cachés dans ces trous. Les SS les sortaient à coup de crosse. Et puis là, on est arrivé à Kutno. On a embarqué pour Dachau et ils nous ont désinfectés là.
- Jean-Baptiste PéretiéLe trajet de Kutno à Dachau, s'est fait dans un train à bestiaux ?
- Joseph RubinszteinNon, de Kutno à Dachau, c'était un train de marchandises. Un train de marchandises. On était trois mille là. En cours de route, il y en a certainement qui ont été tués, cela arrivait. Et il fallait marcher... Nous qui avions des bons postes à Varsovie, on s'en est bien sortis, mais il y en a d'autres qui...Et puis pour marcher, on se mettait toujours en tête, parce qu'après faut serrer, faut courir. C'est là qu'on a vu énormément de civils à Dachau. Et puis, on a été pris pour aller dans les petits camps de travail, différents. Il y en avait énormément en Bavière. C'est la Bavière, Dachau.
- Jean-Baptiste PéretiéDans ce camp annexe où vous allez, est-ce qu'il y a l'appel également comme à Auschwitz le matin et le soir ?
- Joseph RubinszteinOui, mais c'était autre chose. L'appel, il y en a un qui était choisi pour ce travail-là, d'autres choisis pour la fabrique de ciments et d'autres pour différentes choses.
- Jean-Baptiste PéretiéEt à ce moment-là, vous étiez toujours avec vos deux amis ?
Chap. 13 : Le camp de Dachau
- Joseph RubinszteinJ'étais toujours allé avec mes amis et on s'en est bien sorti, nous, sauf le camarade qui est décédé en 67, le coeur, il a flanché, c'était un bon camarade. Et puis, l'arrivée des Américains, quand on a passé par les barbelés, c'était le plus beau jour de ma vie.
- Jean-Baptiste PéretiéEst-ce que vous pourriez le raconter ?
- Joseph RubinszteinLe camarade, il avait une paire de pinces. La camp, ils ont évacué, ils ont fermé le camp.
- Jean-Baptiste PéretiéEn fait, les SS sont partis début mai 1944.
- Joseph RubinszteinLes SS sont partis avec les gars et ils ont été je ne sais pas où. Et puis, nous on s'est caché, c'était plus électrifié, alors il a coupé un carré et on est passé. C'était le plus beau jour de ma vie. On a passé la nuit dans une petite forêt à côté et les premiers Américains sont arrivés. Il y en avait deux dans une jeep qui parlaient le yiddish et ils mâchaient le chewing-gum.Alors, on a levé les mains, ils ont braqué les mitraillettes sur.... Et puis, ils nous ont emmenés dans leur camp là-bas, on leur a montré le numéro et on s'était procuré des habits civils, puisqu'il y en avait une montagne où on s'était caché là-dessous. Les SS n'ont pas compté les gars quand ils sont partis.
- Jean-Baptiste PéretiéC'était quoi cette montagne d'habits où vous vous étiez cachés ? C'était quoi cette montagne de vêtements sous lesquels vous vous étiez cachés ?
- Joseph RubinszteinC'étaient des vêtements civils, des vêtements civils et on trouvé un pantalon et trouvé ceci et cela. On a pris les habits rayés et on les a jetés.
- Jean-Baptiste PéretiéC'était dans le camp où vous avez pu vous cacher sous les habits ?
- Joseph RubinszteinOui, là-dedans. Et puis après, on a passé la nuit dehors, c'était le 5 ou le 6 mai, et les Américains sont arrivés. Après, on leur avait montré les... parce que ces Américains-là avaient fait beaucoup de camps. Ils nous ont emmenés dans leur camp où ils nous ont donné à manger, avec cigarettes, tout et tout.Alors, on les amenés dans un hôpital là-bas où on a vu des femmes qui ont passé l'hiver, des Polonaises qui ont été évacuées. Elles ont passé l'hiver dehors et il y en a une qui avait les mains gelées, l'autre les pieds et une autre les oreilles, c'était incroyable. Elles nous ont demandé des cigarettes, alors je l'ai dit aux Américains et ils ont été chercher des cartouches de cigarettes et du feu.
- Jean-Baptiste PéretiéOn est bien sûr en mai 1945, j'ai dit en 44, mais c'est une erreur.
- Joseph Rubinsztein45. Alors, elles étaient contentes quand elles ont pu... L'hôpital était plein de femmes là, c'était incroyable. Ils avaient envie de pleurer les Américains. Il y avait deux à qui je parlais le yiddish avec eux.
Chap. 14 : L'arrivée des Américains
- Jean-Baptiste PéretiéC'étaient les premières femmes que vous revoyiez depuis longtemps ?
- Joseph RubinszteinNon, on avait notre camp à côté du camp des femmes, mais là...
- Jean-Baptiste PéretiéA Birkenau ?
- Joseph RubinszteinA Birkenau, il y avait un camp de femmes et à Auschwitz aussi. Une nuit, on a été à côté au block 11, on n'a pas vu mais entendu qui sortait du block et qui allait aux fils barbelés et le SS lui a dit : « Qu'est-ce que tu fiches là ? Tu es jeune encore, tu vas mourir, en allemand, tu peux t'en sortir. » Elle lui a dit : « Non, je ne veux plus vivre. » Et puis, elle est repartie.
- Jean-Baptiste PéretiéQu'est-ce que cela voulait dire aller aux fils barbelés ?
- Joseph RubinszteinAller aux barbelés dans notre camp, aller aux barbelés, à un mètre des barbelés, le SS il tirait. C'était au début, après je ne sais pas comment cela se pratiquait. Nous, on est arrivé dans le vrai... C'était un désastre, un miracle. A Birkenau, il n'y avait pas de W.-C., c'était une fosse et il y avait une branche d'arbre qui tenait les W.-C.Il fallait faire attention quand un kapo passait, il vous foutait dedans. C'était infernal, l'enfer. Il fallait faire attention. Moi j'ai eu patience et avec la chance, j'étais très hargneux et je me dis, il faut que je m'en sorte pour pouvoir raconter.
- Jean-Baptiste PéretiéQu'est-ce qui à votre avis a été le plus important pour survivre ? Est-ce que c'était la chance ou est-ce que c'était cette hargne dont vous avez parlé ?
- Joseph RubinszteinMoi, j'ai eu beaucoup de chance, disons quatre-vingt pour cent de chance.
- Jean-Baptiste PéretiéLe fait d'avoir des amis aussi, cela vous a aidé ?
- Joseph RubinszteinLes amis, il n'y en avait pas beaucoup. Moi, je trouve que dans le camp, c'était chacun pour soi qui essayait de...et il n'y avait pas de camaraderie, si, quand on a un ou deux copains. Mais à chaque fois que je me faisais un copain, il partait. C'était comme ça. On ne peut pas dire une camaraderie ou une organisation, une camaraderie.Une fois, il y a une personne de, je ne sais pas, l'UGIF qui m'a demandé : vous n'avez pas des photos ? Comment on pouvait faire des photos là-bas ? Je lui ai dit que je n'avais pas d'appareil et que si j'avais un appareil là-bas, on me tuait. Je ne pouvais pas. Il fallait se le rappeler. C'étaient les moments les plus moches et c'était l'hiver.Quand arrivait l'hiver au mois de novembre, le moral était très très bas, parce qu'ils nous donnaient un petit pull-over de rien de tout. Moi qui travaillais au Canada, bon cela allait mieux, mais sans cela, ils gelaient les gars sur le chantier et ils se frottaient dos à dos comme ça, c'était terrible. En été la soif, c'était incroyable et terrible.La faim, ce n'est encore rien, mais la soif c'est terrible. Y en a avec un verre d'eau, ils auraient pu survivre. Alors, il y avait les gars qui étaient allongés : « Hast-du Wasser ? Hast du Wasser? » Tu as de l'eau ? Parce qu'on pouvait parler le yiddish là-bas encore avec des Juifs polonais, mais des Juifs hollandais, ils ne parlaient pas le yiddish.Des hommes, des Hongrois, j'en ai jamais vu, des femmes oui. Quand on était en Bavière, elles étaient dans les cuisines et dans différents endroits. Mais des hommes hongrois, je n'en ai jamais vu et pourtant il y en a eu neuf cent mille de déportés.
- Jean-Baptiste PéretiéJe crois que c'est plutôt aux alentours de quatre cent mille Juifs hongrois déportés à partir de mai 44.
- Joseph RubinszteinOui, c'est cela. Et il y avait des femmes dans notre camp qui étaient dans les cuisines, enfin dans les cuisines, pour ce qu'il y avait à manger...Et puis d'autres femmes dont je ne sais pas ce qu'elles faisaient, sûrement elles faisaient le ménage dans les baraquements de SS.
Chap. 15 : Les femmes
Part. 3 : Le retour et l'après-guerre
- Jean-Baptiste PéretiéLorsque vous avez été libéré en mai 1945, est-ce que vous aviez des envies de vengeance envers les SS ?
- Joseph RubinszteinUne vengeance ? Non, on était ramollis. Pas du tout. C'est les Américains qui nous ont rapatriés, on est passé par Mulhouse et on a pris le train pour la Gare de l'Est. Alors dans le train, ils ont dépisté des SS, il y avait des gars qui les ont reconnus. Nous, quand on est passé par un colonel qui vous donne un laissez-passer et il y avait un camarade avec qui je me suis évadé.Il ne parlait pas bien le français, mais il avait vécu en France. Vous savez, il était de la Pologne et il a vécu en France. Alors, comme il ne parlait pas bien, ils ne voulaient pas lui donner de laissez-passer. Alors, je lui ai dit : mon Colonel, il était avec moi à Paris, donnez-lui un laissez-passer. Alors, il a donné un laissez-passer.
- Jean-Baptiste PéretiéEt dans le train, il y avait des SS qui essayaient de se cacher et de s'évader du côté du...
- Joseph RubinszteinOui, ceux qui les ont reconnus. Quand on est arrivés à l'hôtel Lutetia, ils m'ont demandé si j'avais... Alors, à la Gare de l'Est, il y avait énormément de femmes, des Juives avec des photos et il y en a une juste qui me tombe dessus. Elle m'a montré une photo. Son mari était dans la même chambrée que moi à Drancy.Je ne l'ai pas vu là-bas, je lui ai dit. Je ne pouvais pas le lui dire autrement. Alors, elle s'est mise à pleurer. Quoi faire ? Je les ai vus là-bas, mais ils travaillaient à Buna et c'était connu comme kommando. Le matin, entassés dans les wagons, ils allaient travailler sur les chantiers.Je les ai vus et je ne sais pas ce qui s'est passé. Ils ont sûrement été malades ou quoi. Ils ont été exterminés et il n'y en a pas beaucoup qui s'en sont sortis. Alors, elle s'est mise à pleurer. Et après, on est arrivé à la Gare de l'Est et les bus nous ont emmenés à l'hôtel Lutetia. Et à l'hôtel Lutetia, ils m'ont demandé si j'avais où habiter. « Je ne ne sais pas », j'ai dit.Ils m'ont donné un ticket pour aller dans un hôtel à côté. J'ai passé la...Alors, j'avais une valise et quelques affaires et j'avais pris dans un pavillon des serviettes, un tas de linges et ce que j'ai pu prendre avec une valise. Et puis, j'ai laissé la valise et j'ai été voir chez moi à la Bastille. Alors, j'ai vu la gardienne et elle me dit : « Votre soeur est là. »Alors, je suis monté au quatrième étage, j'ai regardé par le trou de la serrure, j'ai vu : tout était spolié, mais il y avait quand même la table et les chaises. Alors, je suis descendu et j'ai demandé à la gardienne. Elle m'a dit : « Votre soeur est là, elle va rentrer. » Alors, je suis retourné à l'hôtel où j'ai passé la nuit.Et avec la valise, je me suis planté dans le métro et comme je n'avais pas de cheveux, ils me donnaient la place pour s'asseoir. Et là, je suis arrivé à la Bastille, c'était Sèvres-Babylone l'hôtel Lutetia. Alors, je me suis changé, je suis arrivé à la Bastille et puis je suis monté et j'ai vu ma soeur. Et petit à petit, j'ai une soeur qui était à Bergen Belsen, elle est revenue, et deux frères prisonniers de guerre sont revenus. On s'est retrouvé à quatre.
- Jean-Baptiste PéretiéDonc, vous étiez neuf avant la guerre, il y avait vos deux parents et leur sept enfants ?
- Joseph RubinszteinLes parents et puis sept enfants. On était quatre frères et trois soeurs.
- Jean-Baptiste PéretiéQui avait survécu à la fin de la guerre ? Il y avait donc trois frères et une soeur ?
- Joseph RubinszteinOui, on était encore après la guerre trois et deux, cinq sur neuf. Oui le frère aîné et la jeune soeur ont été déportés avec les parents.
- Jean-Baptiste PéretiéVous avez pu reconstituer leur...
- Joseph RubinszteinOn a commencé à revivre et on a commencé à travailler, puisqu'on n'était pas aidés par personne. C'est pas comme maintenant, on n'était pas aidés et il fallait travailler.
- Jean-Baptiste PéretiéEst-ce qu'en revenant à Paris vers la fin du mois de mai 45, je crois, vous avez cherché à obtenir des informations sur vos parents et sur votre frère et votre soeur ?
- Joseph RubinszteinOn savait les informations par des voisins, ils nous ont qu'ils ont été déportés et j'ai tout de suite compris. Je le savais déjà quand j'étais dans le camp, mais on vivait quand même...
- Jean-Baptiste PéretiéVous saviez qu'ils ne reviendraient pas.
- Joseph RubinszteinIls ont été gazés directement. Les vieux, directement. La fille aurait pu tenir, mais vous vous rendez compte, ils ont été déportés le 29 juillet 1942 et il n'y en a pas beaucoup qui s'en sont sortis et ils ont résisté jusqu'à la sortie. Elle avait été sa mère et la mère a été aux chambres à gaz pour être gazée, les hommes d'un côté et les femmes...Et le frère aîné avec sa femme, ils sont arrivés dans un grand convoi, ils étaient sûrement fatigués et tout, ils ont couru aux camions et les camions allaient directement aux chambres à gaz. Tous ceux qui montaient dans les camions. Il y en a qui avaient une chance et ils allaient dans les camps, des plus jeunes, car il y avait des sélections, mais les personnes âgées : aucune chance.
- Jean-Baptiste PéretiéUne de vos soeurs avait été déportée à Bergen Belsen. Est-ce que vous en avez parlé avec elle ?
- Joseph RubinszteinElle a été déportée comme femme de prisonnier de guerre, ils avaient un statut à part. Ils leur ont pas coupé les cheveux ni rien. Elles ont eu de la chance et elle est rentrée. Elle a maintenant quatre-vingt-douze ans et elle est dans une maison de retraite à Deauville.
Chap. 16 : Le retour à Paris et les retrouvailles familiales
- Jean-Baptiste PéretiéEt après la guerre, vous lui avez parlé de votre expérience à Auschwitz ?
- Joseph RubinszteinElle ne voulait pas trop entendre. Elle voulait pas entendre. Nous, on en parle quand on est ensemble et encore très peu. On ne parle pas beaucoup, si : tu t'en rappelles de celui-là, c'était un assassin, c'était ceci, c'était cela. Dannecker, Mengele, le chef du camp à Auschwitz au début, c'était Höss. J'ai vu des pendaisons et il y avait une pendaison à Varsovie.Il y avait un Juif grec qui travaillait le soir, et le soir ils allaient dans un centre ou un lavoir. Il parlait le français, un beau gars. Il avait fait la connaissance d'une fille là-bas, il y avait des filles aussi, et elle travaillait avec eux. Et puis c'était certainement une Juive camouflée et ils ont organisé une évasion avec un SS qui les accompagnait.Et puis, au moment qu'ils voulaient s'évader parce que lui il s'était habillé en civil et en dessous ses habits rayés, le SS n'a pas tenu parole. Il était payé et c'est la fille qui avait organisé cela, il a donné un grand coup de pied, il est tombé, il s'est déshabillé dans une petite rue en dehors du ghetto là-bas parce que la buanderie se trouvait dehors en ville.Et puis au loin, il y avait un militaire qui a vu cela, il a tiré et il a pris une balle dans la fesse le gars qui a traversé. Il s'est écroulé, alors ils l'ont ramené au Paviak, à la prison dans le ghetto de Varsovie, puis ils l'ont soigné. Et un dimanche, ils nous ont rassemblés devant le block et puis ils l'ont pendu. Un copain et moi, on l'a défait, on a défait la corde et on l'a amené dans notre coin où on brûlait les morts. Son frère était juste devant et il a assisté à la pendaison.
- Jean-Baptiste PéretiéEt vous, vous avez brûlé le corps ?
- Joseph RubinszteinOn l'a défait. On l'a piqué. Du Paviak, ils lui ont donné une piqûre pour qu'il soit... Il a les mains liées et il est monté sur le tabouret et puis un SS a donné un coup de pied au tabouret. Cela ne dure pas longtemps, même pas une minute. On voit le coeur qui... Et on l'a détaché, puisque nous, on était au kommando de... et c'était notre travail, voilà.Une fois, ils nous ont demandé des urnes, vous savez les petites...où on met les cendres. Ils nous ont donné ça, le chef du camp pour qu'on mette les cendres dedans et puis ils envoyaient ça aux familles des « aryens » ou des Allemands qui sont morts. Alors des cendres de Juifs...Alors, on ne pouvait pas faire autrement, on ne les brûlait pas individuellement, on les brûlait...Dans ce kommando-là, on était tranquille, on n'était pas obligé. Alors, on nous donnait une double ration de pain. Des fois, ils nous payaient un quart de vodka. Là-bas à Varsovie, on vivait comme si on était dehors et c'était un bon kommando pour nous, pour tenir le coup.
- Jean-Baptiste PéretiéDonc, c'était un travail que vous n'étiez pas obligé de faire ?
- Joseph RubinszteinOn n'était pas obligé de faire.
- Jean-Baptiste PéretiéC'est vous qui vous êtes proposé pour le faire ?
- Joseph RubinszteinIls nous ont demandé, alors on a accepté. Si vous voulez, vous coupez ça, non? Enfin, il faut dire ce qui est. On n'est pas des assassins, alors les morts, il y avait un SS qui venait à côté et un des trois copains qui avait une pince enlevait les dents en or pour les mettre dans une boîte devant le SS.
- Jean-Baptiste PéretiéC'était une fois que les corps étaient brûlés ?
- Joseph RubinszteinC'étaient pour eux, les SS, les dents en or.
- Jean-Baptiste PéretiéLes dents en or étaient enlevées avant de brûler les corps ?
- Joseph RubinszteinOui, autrement il ne reste plus rien. Enfin on ne les trouve pas. J'ai un copain, il ne voulait pas raconter ça dans le premier convoi. Et moi, je vous le raconte. Est-ce que je fais bien? Il y a eu de ces choses... Quand on est arrivé à l'hôtel Lutetia, ils nous ont demandé si on avait où habiter et ils devaient nous passer une radio. Cela ne marchait pas, c'était en panne.Et ils devaient nous donner des chaussures et des habits, mais il n'y avait plus rien et ceux qui ont organisé ça se sont bien débrouillés, comme d'habitude.
- Jean-Baptiste PéretiéCe moment où vous deviez brûler les corps dans le ghetto de Varsovie, vous diriez que c'est la chose qui vous a le plus marqué de toute votre expérience pendant la guerre ?
- Joseph RubinszteinCela ne nous faisait plus rien, on était habitués. Mais le kapo qui n'était pas juif et qui était avec nous, c'était une saleté terrible : « Quand un Juif brûle, je suis content ». Il a dit même autre chose que je ne peux pas dire à la télé. Il était content, et nous, on était content quand il est mort.
- Jean-Baptiste PéretiéC'est quoi cette autre chose qu'il a dit ?
- Joseph RubinszteinJe ne peux pas vous le dire, c'est terrible. C'est malpoli. C'est tout ce qu'on veut. Il est mort et on en était bien content, comme cela, on fait le travail nous-même. Entre copains, on peut se le raconter, mais là, ce n'est pas pareil. Cela va passer dans...
- Jean-Baptiste PéretiéEst-ce que vous avez raconté ce que vous aviez vécu pendant la guerre à votre femme et ensuite à votre fille ?
- Joseph RubinszteinJ'en ai raconté un peu, c'étaient elles qui ne me demandaient pas, elles me demandaient pas beaucoup de choses. Mais au début, il y avait énormément de films de déportés et de camps, elles le regardaient.
- Jean-Baptiste PéretiéA partir des années 70 surtout.
- Joseph RubinszteinMaintenant, on ne les regarde plus. Si, j'ai des amis là, la femme m'a demandé les cassettes du « Premier convoi », des rushes.
Chap. 17 : La difficulté de raconter. Les bûchers de Juifs dans le ghetto de Varsovie.
- Jean-Baptiste PéretiéEffectivement au début des années 1990, vous avez participé à un film documentaire qui s'appelle « Le Premier Convoi » dans lequel vous apparaissez avec d'autres hommes qui étaient avec vous dans ce convoi. Est-ce que vous avez accepté facilement de participer à ce film ?
- Joseph RubinszteinOui, dès qu'il y a quelque chose comme cela, moi je suis présent. Je ne refuse jamais.
- Jean-Baptiste PéretiéDans ce film, vous refaites le voyage jusqu'à Auschwitz avec d'autres anciens déportés et avec le réalisateur du film. Est-ce que c'était la première fois que vous retourniez à Auschwitz ?
- Joseph RubinszteinOui. Autrement, j'aurais pas...J'ai des camarades qui y ont été plusieurs fois, mais cela ne m'intéresse pas, une fois ou deux fois m'ont suffit, une fois être là-bas et une fois pour faire le film. Quand on est arrivé à Auschwitz, c'était cinquante ans après. C'était plus... Il y avait beaucoup de blocks en bois qui ont partis.Il y avait quelques blocks et le block où il y avait les chaussures de gosses, les cheveux et tout cela, c'était là que j'étais, mais avant qu'il soit mis comme....quand il était intact. Dans l'allée principale quand on rentre, au bout.
- Jean-Baptiste PéretiéEst-ce que vous vous rappelez de l'impression que vous avez eue quand vous avez revu le camp d'Auschwitz cinquante ans après ?
- Joseph RubinszteinJe n'ai pas reconnu grand-chose, parce le Canada à ce moment-là, il était sur la droite et Oscar Lévy a dit : « Non, ce n'était pas le Canada. » Et pourtant, c'était le Canada, parce que après c'était une usine, après, elle n'était pas là. Il nous a emmenés dans un endroit où il y avait le Canada, il y avait encore des petites cuillères, des petits machins et des petits trucs par terre, mais ce n'était plus cela et je n'ai pas reconnu grand-chose.On a été au block 11 là-bas et j'ai quand même reconnu quelque chose, il y a la grande plaque de commémoration où il y a les fleurs, et nous, on était dans les chambrées à côté et quand il y avait une fusillade des otages qu'ils ont pris quand il y avait un militaire qui a été tué ou quoi, ils les rentraient là. On rentrait dans les chambres, ils fermaient le volet, puis la mitrailleuse...Après, on sortait et on voyait encore des traces de sang. C'est comme par exemple...Je reviens à Varsovie, quand on allait chercher du bois pour brûler nos morts, il y avait dès fois des coups de sirène des camions qui rentraient en plein hiver avec des otages de femmes qui étaient toute nues et collées un contre l'autre, puis ils rentraient à la prison de Paviak.Nous, on avait notre camp à côté et on les voyait puis on entendait la mitrailleuse. Et souvent, cela arrivait. Quand il y avait les camions qui rentraient, le SS qui nous accompagnait, il disait : tournez la tête. Alors, on tournait un peu la tête, mais on revenait. Pour pas qu'on voit.Une fois, on avait un SS qui nous accompagnait et qui nous a parlé en yiddish, c'était sûrement un camouflé. Il nous a parlé en yiddish et il nous a dit : tenez le coup, c'est bientôt la fin, en yiddish ; on a compris ce que c'était. C'était pas toujours le même qui nous accompagnait pour prendre du bois, les grosses poutres et tout cela sur la voiture à bras.On était trois et on soulevait cela. Et on pouvait le soulever, on était à peu près en bonne santé avec ce qu'on mangeait, nous. Alors, on rentrait ça dans notre coin, il y avait deux barraques qui étaient encore à peu près debout là et on faisait nos... Enfin, on faisait un grand carré avec des grosses poutres et on mettait les cadavres là. Un bûcher.Cela ne nous faisait rien du tout, on était habitué, il y en a qui n'auraient pas pu le faire. Il y avait un typhus, c'était terrible, il n'y avait pas d'hygiène, il y avait rien.
- Jean-Baptiste PéretiéCombien de temps mettaient les corps pour brûler ?
- Joseph RubinszteinOn allumait dans chaque extrémité, chaque coin avec un peu de paille, un journal, et tout, et en une journée, c'était brûlés les corps. Cela flambait et la graisse qui restait... Quand ils vont entendre ça...
- Jean-Baptiste PéretiéEst-ce qu'après la guerre, vous êtes allé en Allemagne ?
- Joseph RubinszteinJamais. Jamais. L'Allemagne et la Pologne, exclu. En Pologne, j'y étais juste pour le film et c'est tout. Et puis jamais je ne peux plus entendre parler d'eux. Déjà quand on était là-bas pour tourner le film, il y avait un couple et le mari était parmi les onze. Elle, elle parlait le polonais et dans le film ils parlent en yiddish.Dans le film, ils ont été dans une boutique pour acheter quelque chose, alors elle a parlé en polonais. Il y avait d'autres personnes, des Polonaises. Ils ont dit : voilà encore des Juifs, en polonais. Cela pour vous dire qu'ils étaient bien contents de se débarrasser de trois millions de Juifs et il y en a encore là-bas.Quand on était en camionnette et qu'on a été à Auschwitz, près de Varsovie où on était stationné, il y a le chauffeur qui nous a montré une synagogue. Il y avait encore des...On voyait rentrer encore quelques-uns, il n'y en a pas beaucoup, mais il y en a quand même.
- Jean-Baptiste PéretiéEst-ce que vous savez si votre petite fille, qui a elle-même maintenant une fille et vous êtes donc arrière-grand-père, a vu le film ?
- Joseph RubinszteinOui, la petite fille, elle a vu. C'est elle qui m'a acheté les trois cassettes «Holocauste», c'est formidable.
- Jean-Baptiste PéretiéElle a vu le documentaire « Premier Convoi »?
- Joseph RubinszteinElle a vu tout. La petite fille ne me demande rien, mais elle a entendu et vu quand il y a un film à la télé et c'est elle qui m'a acheté cela. Ils ont passé le « Premier Convoi » et tout cela, mais les jeunes ne sont pas intéressés par ça. Là, j'ai connu, la semaine, j'ai fait connaissance d'un couple et la femme m'a demandé la cassette du « Premier Convoi ». Je lui ai donné. Elle n'est pas aussi sensible que bien des personnes et elle verra le film. Après, je vais lui donner « Sobibor », c'est déjà plus... « Sobibor », j'étais étonné de voir... C'est pas Claude Lanzmann qui l'a fait ?
- Jean-Baptiste PéretiéSi, c'est Claude Lanzmann.
- Joseph RubinszteinSi. Des femmes mélangées avec les hommes, je ne l'ai jamais vu et je ne le savais pas. C'est bizarre, ce camp. Mais c'est bien quand même, le Russe joue bien là-dedans.
- Jean-Baptiste PéretiéVous parleriez du documentaire sur la révolte qui a eu lieu à Sobibor parce que Claude Lanzmann a fait un film sur Sobibor qui raconte une révolte dans ce camp ?
- Joseph RubinszteinIl paraît qu'il y a eu une révolte à Treblinka aussi, ils en parlent dans « Sobibor » les SS, mais moi je n'ai jamais su qu'il y a eu une révolte. On était encore dans les camps encore et à Sobibor non plus, je ne savais pas. Par les films, j'ai appris, c'est tout.
Chap. 18 : « Le Premier Convoi », film documentaire
- Jean-Baptiste PéretiéEst-ce que cela vous arrive de témoigner dans les écoles ?
- Joseph RubinszteinDans deux écoles, rue des Prairies et puis place Saint-Jean-d'Acre, je crois, près de la place d'Italie. Une fois, j'étais en vacances près de Dinard et évidemment cela fait au moins sept ou huit ans que je vais à la pension, ils savaient que j'étais déporté et je leur ai même donné le journal et tout et tout.Une fois, il y a un curé qui est venu : ses élèves ne croyaient pas ce qu'il y avait eu et ce qui s'était passé. Alors, le prêtre est venu et il m'a demandé si je voulais faire un discours pour ses élèves. Ils étaient à peu près une soixantaine dans une grande salle. Je leur ai raconté tout cela et ils m'ont applaudi. Et là, ils ont compris que c'était la vérité et que ça a bien existé.Un fois au moment de Maastricht, il y avait Le Pen qui était à la télé et il a dit que cela n'a jamais existé. Je l'ai entendu, je mettrais ma main au feu, il a pu dire une chose pareille.
- Jean-Baptiste PéretiéEst-ce que le fait d'être l'un des derniers survivants du premier convoi vous donne une responsabilité particulière ?
- Joseph RubinszteinQu'est-ce que vous appelez par cela ? C'est-à-dire quand on est rentré ? Quand on était rentré, ils étaient étonnés qu'il y en a qui sont revenus : « Mon fils était costaud comme cela, il est pas revenu ».
- Jean-Baptiste PéretiéCe que je voulais dire, c'est est-ce que cela vous donne une responsabilité particulière dans le fait de témoigner ? Est-ce que cela rend le témoignage d'autant plus important ?
- Joseph RubinszteinNon, moi quand je témoigne, je suis content, je suis très content. Quand je fais un discours, évidemment mon langage n'est pas... je ne suis par un orateur, mais je raconte quand même. On me comprend bien, c'est cela l'essentiel. Un peu d'argot... Moi je suis content...Eh oui, c'était...Quand on revient et on échappe à un génocide pareil, parce qu'on était tous condamnés là-bas. On ne devait pas s'en sortir, j'ai eu beaucoup de chance.Figurez-vous que quand ils ont évacué notre camp à Kaufering, on s'est caché sous les vêtements, on était trois, il y avait un gosse et un copain qui avait une paire de pinces, et les autres ils sont évacués, les SS ne comptent pas les gars, et qu'on arrive à s'en sortir, c'est quelque chose.Evidemment, c'était plus électrifié, ils ont fermé le camp avec une chaîne, un cadenas et puis ils sont partis. Et j'ai un copain qui est parti là-dedans avec le groupe, et arrivés je ne sais pas où, ils m'ont dit dans le Tyrol, c'était un camarade qui était très peureux, c'était d'un convoi trois mois après le nôtre, il s'est caché dans une grotte et il a eu les deux jambes gelées.Quand les Américains sont arrivés, ses camarades.... A un moment où les SS sont partis, on m'a raconté cela, il y en a qui disaient qu'il y en avait un, ils l'ont recherché et ils l'ont trouvé. Les Américains l'ont amené à l'hôpital et ils l'ont coupé les jambes. On l'a revu, il habitait Sotteville-lès-Rouen, il avait eu deux jambes artificielles et je cherche pour le retrouver, mais je ne le vois plus.J'ai demandé à des personnes qui habitent Sotteville-lès-Rouen, personne ne peut rien me dire. Il était d'origine turque, il s'en est sorti. Il était peureux, très peureux, alors il s'est caché dans la grotte, il s'est laissé gelé et on lui a coupé les jambes. Dans la pension où je vais, il y a des gens qui viennent de Rouen et je leur demande.Alors, il y en a qui font la commission, il vont à la mairie, mais personne, rien. Dernièrement, il y a un mois, j'étais là-bas dans la petite pension, j'ai vu ces personnes-là, et ils m'ont dit : on vous écrira. Et j'attends, peut-être qu'il est décédé, peut-être qu'il a quitté. Il était fiancé quand il est revenu, elle l'a accepté quand même.On avait été tout au début trois ou quatre camarades, on a été le voir. Et voilà, il y a des cas comme ça. Alors évidemment, maintenant, dans le quartier il y avait beaucoup d'amis, il y en a qui étaient morts à la guerre, d'autres déportés, il n'y a plus personne et je n'ai même pas l'occasion de parler yiddish, il n'y a personne. C'est pas un.C'est triste maintenant, on n'est plus nombreux dans le quartier, ou alors il y a des personnes très âgées. Moi, je fais partie d'une société, alors il y en pas mal, pour l'enterrement, une société juive. On se réunit une ou deux fois par an, on paie une cotisation et là on a l'occasion. Il y a quand même, le yiddish n'est pas perdu.Sur la photo, c'est moi-même en Tunisie à Sousse quand j'étais militaire.
Chap. 19 : L'importance du témoignage
Part. 4 : Présentation des documents
- Jean-Baptiste PéretiéC'est lorsque vous vous êtes engagé dans la Légion étrangère.
- Joseph RubinszteinOui, quand je me suis engagé dans la Légion étrangère, on nous a envoyé à Sousse à Tunisie, j'étais dans la cavalerie. Ici, c'est le cheval dont j'ai été affecté à Sousse pendant quinze mois à peu près. J'avais toujours le même cheval et j'étais habitué. Ceci, par les combattants, on a eu la carte de déportés politiques, alors on avait les mêmes avantages que les résistants, c'était vers les années 50 à peu près.
- Jean-Baptiste PéretiéQui on voit sur cette photo ?
- Joseph RubinszteinSur cette photo, c'étaient tous les déportés qui sont revenus, on était onze à peu près, il n'y en a que quelques-uns qui étaient décédés et actuellement, on est encore sept survivants.
- Jean-Baptiste PéretiéC'étaient les onze survivants à l'époque du film de Pierre-Oscar Levy ?
- Joseph RubinszteinA l'époque du film, oui.
- Jean-Baptiste PéretiéEt combien d'entre vous sont rentrés en 45 ?
- Joseph RubinszteinEn 45, il y en a eu vingt à peu près qui sont rentrés et il y en a un qui n'a pas été déporté, il s'appelle Rueff. Il s'est évadé du train avant Reims.
- Jean-Baptiste PéretiéDonc, sur les onze cent douze qui sont partis en...
- Joseph RubinszteinSur les onze cent douze, on est rentré à vingt et actuellement, on est encore sept survivants.
- Jean-Baptiste PéretiéVous pouvez dire tous les noms de droite à gauche ?
- Joseph RubinszteinLe plus vieux, il s'appelle Mink, après l'autre Gelbhard, l'autre Gutman, Darty, Smaer, Grunberger, Pressman. Il y en a un qui est à Perpignan, Pressman, et on se voit assez souvent.
- Jean-Baptiste PéretiéMerci.
Chap. 20 : Les photographies
Biographie
Né en 1918 à Latowicz près de Varsovie, Joseph Rubinsztein est le dernier des sept enfants d'un ouvrier tailleur à domicile qui choisit d'immigrer à Paris en 1923, rejoint par sa famille l'année suivante. Après une dizaine d'années dans une habitation bon marché (HBM), la famille Rubinsztein emménage dans un appartement du quartier de la Bastille. Apprenti tapissier, engagé en 1939 dans la Légion étrangère en Afrique du Nord et démobilisé en 1940 dans la région de Toulouse, Joseph parvient, au mépris de l'ordonnance allemande du 27 septembre 1940 qui interdit aux Juifs le retour en zone occupée, à rejoindre les siens. Avec son père, il fait partie des quatre mille deux cent trente-deux Juifs, en majorité polonais, raflés entre le 20 et le 23 août 1941, dans le XIème arrondissement, par les policiers français et les soldats de la Wehrmacht. Transférés au camp de Drancy qui est à partir de ce moment destiné aux Juifs, Joseph et son père y subissent les conditions de famine de l'automne 1941. Le 27 mars 1942, Joseph Rubinsztein fait partie du premier convoi de déportés juifs de France en direction d'Auschwitz. Composé pour moitié d'internés du camp de Compiègne, en représailles aux attentats de la Résistance, c'est le seul convoi de déportés juifs de France constitué de wagons de voyageurs. C'est dans des wagons à bestiaux que le père, rejoint par son épouse, son fils aîné et une de ses filles victimes de la rafle du Vel' d'hiv', sont déportés à leur tour, fin juillet 1942, au moment des premiers gazages de déportés juifs de France. Affecté à des commandos de force puis au « Canada », la baraque de tri des effets des déportés, Joseph Rubinsztein est transféré à Varsovie où il est chargé de déblayer les ruines et de brûler les cadavres dans le ghetto dont le soulèvement a été écrasé définitivement le 16 mai 1943 par le général SS Jürgen Stroop. Transféré à marches forcées avec trois mille détenus, au cours de l'été 1944, jusqu'à Kutno, puis en train à Kaufering, camp annexe de Dachau, Joseph parvient à échapper à son évacuation par les SS et est rapatrié en mai 1945 à Paris par l'armée américaine. En 1992, dans le film de Pierre-Oscar Lévy Premier convoi, Joseph Rubinsztein a livré son témoignage, en même temps que onze autres rescapés.
Oeuvres
Pas de publication.
Crédits
Entretien vidéo
Directrice générale de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah : Anne-Marie Revcolevschi
Directeurs de la Production et de l'édition : Anne Schuchman, Christophe Barreyre
Chefs de projet
Chef de projet Ina : Florence Fanelli, productrice du corpus, assistée d'Armelle Jayet et de Valérie-Anne Coston, directrice de production
Chef de projet FMS : Dominique Missika, assistée de Lisa Vapné
Réalisatrice : Catherine Bernstein
Intervieweur : Jean-Baptiste Péretié
Journaliste et réalisateur : Antoine Vitkine
Comité de pilotages des transcriptions
Pilotage : Denis Maréchal, Armelle Jayet et Florence Fanelli, Ina
Conseiller historique : Michel Laffitte
Transcripteur : Cédric Gruat, historien, auteur de documentaires
Transcripteur : Dimitri Karakostas, docteur es lettres
Transcripteur : Carine Mournaud, doctorante en histoire
Transcripteur : Lorraine de Meaux, agrégée d'histoire, doctorante
Transcripteur : Jean-Baptiste Péretié, intervieweur
Transcripteur : Alexandre Rios-Bordes, agrégé d'histoire, doctorant
Référent allemand : Matthias Steinle, docteur en science des Médias, maître de conférence à l'Université de Marburg (Allemagne)
Référent Polonais/Russe : Agnieszka Ziarek, réalisatrice
Référent Yiddish : Renée Kaluszynski, enseignante de Yiddish
Equipes techniques
Responsable des moyens techniques : Jean-Yves Andrieux
Groupe post-production vidéo : Rita Lourdemarianadin
Groupe son : Brigitte Vayron
Service d'infographie : Raymond Perrin
Planning des moyens techniques : Renzo Di Lullo
Image : Michel Bort, Gérald Dumour, Alain Salomon, Marc Séferchian
Son : Jean-Jacques Faure, Guillaume Solignat
Maquillage : Emmanuelle Foltête, Ecole Fleurimon
Montage : Isabelle Putod
Techniciens vidéo : Jacques Barrello, Marc Grandhomme, Eric Queille
Ingénieur système : Didier Lecert
Traitement numérique : Jean-Michel Moussu
Infographie : Stéphanie Mée-Forcioli
Maintenance audiovisuelle : Frédéric Vannier, Frédéric Jaffres
Direction des systèmes d'information : Safia D'ziri
Equipe internet : Jean-Michel Forcioli
Web design : Paul Fleury
Administrateurs : Pascale Ponsoda, Mireille Maurice, Yasmine Boucherat.
Programme Hypermédia
Responsable des éditions Ina : Roei Amit
Conception-réalisation : Ina - Studio hypermédia
Direction : Xavier Lemarchand
Ingénierie documentaire : Ludovic Gaillard
Développement : Pierre Rougier - Mathieu Rogelja
Intégration éditoriale : Elsa Coupard
Transcodage des vidéos : Jean-Michel Moussu - Didier Lecert