Oscar Rosowsky [05:25:58]

Les années berlinoises

  • Catherine Bernstein
    Et donc vous grandissez à Berlin jusqu'en 1933 ?
  • Oscar Rosowsky
    Je grandis à Berlin jusqu'en 1933 dans des conditions de luxe incroyables, parce que quand on arrivait dans ce Berlin-là qui va connaître l'inflation que vous savez, et la ruine de tout le pays ; quand vous arrivez avec des devises étrangères, vous vivez sur un pied que vous ne pouvez même pas imaginer. Mes parents ..., le premier souvenir que j'ai ... se passait, je devais être encore tout petit, mes parents étaient allés à un bal. Et j'étais ..., ils avaient loué chez un officier supérieur de l'armée prussienne, la quasi-totalité de son appartement meublé avec des meubles dorés d'époque. Et moi j'étais dans le lit attendant leur retour. Ils sont revenus avec un [lot de tombola]. Ils avaient gagné je ne sais quel truc en argent, voilà... Et cet officier de l'armée, il vivait avec sa femme, il était à la retraite mais il n'avait plus le sou, à côté de la cuisine. Il m'aimait bien. J'y allais assez souvent il m'a fait cadeau, quand on est parti, il m'a fait cadeau de sa longue-vue que j'ai gardée jusqu'à Nice en 1940. Voilà. Nous avons vécu alors à Berlin Charlottenburg dans un six pièces meublé sur mesure, avec des réceptions l'une après l'autre. Ce qui fait qu'il y a pas lieu de s'étonner que mon père se soit ruiné assez rapidement et que déjà en 32, il n'avait plus le rond. Il n'était pas doué pour les affaires. Donc, ça s'est terminé de la manière suivante, il est parti sur la Côte d'Azur, parce qu'il y avait des casinos. Et ma mère est allée ..., c'est une femme du genre de celles qu'admire Almodovar et donc elle s'est rendue compte qu'il faudrait qu'elle nourrisse la famille. Elle est allée apprendre le métier de modiste à l'organisation juive d'apprentissage des métiers artisanaux et agricoles, à L'ORT, encore à Berlin. Donc quand nous sommes arrivés à Nice, elle avait un métier. Voilà, ça c'est Berlin. Alors j'ai été à l'école à Berlin, et c'est très intéressant l'école primaire, l'école de garçons à Berlin à cette époque. Par exemple, à moi, comme j'appartenais à une famille aisée, il ne m'arrivait jamais rien. Mais les enfants des pauvres subissaient des punitions corporelles. Le professeur avait deux baguettes en bambou qu'il laissait tremper dans l'humidificateur, là sur le radiateur et les enfants des pauvres recevaient des fessées devant tout le monde. C'était ça l'ambiance, et dans la cour, on se battait du matin jusqu'au soir. Mais ça de toute manière, à l'époque, je crois qu'on se battait par principe, c'était le genre de ces écoles de garçons en Allemagne. Vous savez l'un sur l'autre et on se fait tomber, donc, c'est ça mon souvenir d'école.
  • Catherine Bernstein
    Et le fait que vous soyez juif, n'est jamais rentré en ligne de compte ?
  • Oscar Rosowsky
    Non, pas du tout à l'époque. Mes parents avaient de l'argent.
  • Catherine Bernstein
    C'était ça leur signe distinctif ?
  • Oscar Rosowsky
    Je pense que c'était ça leur signe distinctif et puis ils étaient de nationalité lettone. La Lettonie pour les Allemands c'est tout de même un pays frère, les pays Baltes, bref je ne sais pas, le fait est qu'on n'avait pas de problème, moi en tout cas, non, jamais.
  • Catherine Bernstein
    Et vous induisiez que votre père était donc joueur, ou flambeur ?
  • Oscar Rosowsky
    Oui, écoutez, il faut bien dire les choses comme elles sont. Mon père était l'enfant terrible, il y a toujours dans toute bonne famille un enfant terrible. Donc, par exemple, la légende familiale, c'est qu'il s'amenait au grand scandale de ses parents, manger à table avec des bottes de moujik et une cuillère en bois fichée dedans, ce genre de blague. Et malheureusement, il était joueur. Ce n'est pas tout à fait par hasard qu'il est allé à Nice.
  • Catherine Bernstein
    Et vous viviez ensemble avec vos deux parents, vos parents étaient ensemble à Nice ?
  • Oscar Rosowsky
    Ah oui, ah ben écoutez, ma mère n'aurait jamais quitté mon père, et moi [non plus] d'ailleurs, il était très séduisant mon père. J'aimais beaucoup mon papa. Quand par hasard il gagnait, il me payait une pêche melba. Il gagnait parce que la famille lui donnait un tout petit peu d'argent, c'est ma mère qui le nourrissait. Et d'autre part, il passait son temps au café de France, au café de la Buffa qui à l'époque était un très beau café. Quand j'y allais on jouait aux échecs. Il lisait la presse russe et il fabriquait des martingales. Il prétendait penser un jour gagner de l'argent. Ça n'a pas marché.