Serge Klarsfeld [04:24:23]

La rencontre avec Beate

  • Jean-Baptiste Péretié
    Tout à l'heure, vous avez parlé d'une fausse permission en Italie, je crois que vous en avez fait une aussi, en Allemagne, est-ce que à l'époque, vous aviez déjà rencontré Beate, celle qui allait devenir votre femme ?
  • Serge Klarsfeld
    Oui, pour aller en Allemagne, quand même, il faut l'amour, il faut une fille pour aller en Allemagne et, comment dire, oui, je suis allé à Berlin, je suis même allé de l'autre côté, parce que les militaires avaient le droit de franchir sans contrôle les checkpoints. Il y avait même d'ailleurs quelqu'un chez, dans... parmi les militaires qui étaient des copains, il y en avait un que je connaissais peu, mais il a été arrêté parce que il savait parler le russe, il écoutait les tankistes allemands. Or, la sécurité militaire française s'est rendue compte qu'il vivait à Berlin-Est, avec une Allemande à Berlin-Est, alors, il n'y avait pas le mur à l'époque, encore, et donc, la période où il avait été arrêté, et donc c'était tangent.
  • Jean-Baptiste Péretié
    Quand vous y êtes allé... ?
  • Serge Klarsfeld
    Mais j'ai vu le Mur, le Mur était là quand je suis arrivé, c'était en décembre. Donc j'ai vu le Mur qui venait de commencer sa carrière. Et... Beate, elle, avant quand elle était enfant, avait l'habitude d'aller entre les deux Berlin. Je dis c'est là qu'elle avait eu le sentiment d'être une Allemande, et pas être une Allemande de l'Ouest ou de l'Est, mais une Allemande.
  • Jean-Baptiste Péretié
    Vous l'aviez rencontré quelque temps auparavant ?
  • Serge Klarsfeld
    Oui, au mois de mai 1960. On s'est rencontré, pratiquement le jour où Eichmann a été enlevé. Il a été enlevé en mai 1960, et je ne sais pas quel jour on s'est rencontré, mais il a été, on s'est rencontré en mai 1960, et il a été enlevé en mai 1960. Alors vous voyez, on s'est rencontré ben au métro porte de Saint-Cloud, comme quoi, l'aventure est au coin de la rue ! C'est à mon métro en allant, en allant... à ma première réunion franco-allemande. Une réunion, comment dire, entre les bourse Elijah, j'étais boursier Elijah, et la fondation du Prince de Hanovre. Il y avait une école, comment s'appelait cette école, une école spéciale où y avait... mais enfin, il y avait une réunion, parce que, à cette époque là, les bourses Elijah étaient entre les mains de l'Académie française, et donc il y avait une réunion à la Cité universitaire. Et quand j'ai rencontré Beate, je lui ai parlé, et quand j'ai su qu'elle était allemande, je lui ai dit que ce soir, j'allais à une réunion franco-allemande. ... Voilà...
  • Jean-Baptiste Péretié
    Lorsque vous avez compris que vous tombiez amoureux d'elle, est-ce que c'était embêtant le fait qu'elle soit allemande ?
  • Serge Klarsfeld
    Non, c'était pas embêtant, non, ça m'a pas embêté, mais par contre, je me suis dit que je devais être sûr, avant de la présenter à ma mère. Et donc, j'ai attendu un an avant de la présenter à ma s?ur, et puis de la présenter à ma mère, de façon à être moi-même sûr, et donc ma mère a été enchantée. Je crois que les mères pensent, comment dire, quand elles voient une belle-fille, potentielle, elles doivent penser, comment elle sera, enfin, c'est elle qui fermera les yeux de mon fils, quoi, comment elle va se conduire vis-à-vis de mon fils. Et donc là, c'est un jugement psychologique personnel et ma soeur a eu une bonne opinion et ma mère a eu une excellente opinion, alors donc j'étais sûr, à peu près, de ne pas me tromper.
  • Jean-Baptiste Péretié
    Mais je crois que votre mère a quand même demandé l'avis de sa soeur ?
  • Serge Klarsfeld
    Oui, c'est exact. Beate a été une des rares qui a été, à franchir le rideau de fer, pour aller avoir le point de vue sur son mariage éventuel, avec moi, de la part de tante Lida... Tante Lida a été enchantée, et tante Lida a donné son accord Vous voyez, malgré le rideau de fer, quand même ça fonctionnait, la famille fonctionnait bien. J'étais allé en Roumanie, en 1959, j'avais renoué le lien, pour la première fois, avec la famille, et de mon père et de ma mère, en me rendant à... C'était très difficile d'avoir un visa, mais à Istanbul, je suis allé voir le consul roumain, je lui ai dit « Écoutez, je vais partir l'année prochaine en Algérie, je risque de mourir, je voudrais revoir ma tante, etc. » Alors il a eu pitié, il m'a donné un visa, et quand je suis arrivé en Roumanie, on m'a tout de suite arrêté, disant que « Vous n'avez pas fait votre service militaire, en Roumanie, vous êtes roumain, pour nous vous êtes roumain... » Bon, il a fallu que je me dégage de cette histoire, et puis, donc j'ai revu ma tante. Et puis ma mère y est allée, chaque année, ma mère allait deux, trois fois en Roumanie. Et moi aussi, d'ailleurs, j'allais régulièrement voir ma tante en Roumanie. Ma tante en Russie, déjà dans l'année 1957, et puis mon oncle à Krasnodar, j'ai toujours maintenu les liens avec la famille.
  • Jean-Baptiste Péretié
    Donc le fait que vous épousiez une Allemande, non-juive, n'a pas posé de problème dans votre cercle immédiat...
  • Serge Klarsfeld
    Non.
  • Jean-Baptiste Péretié
    Est-ce que, peut-être auprès d'amis ou de relations plus lointaines, il y avait quand même des préjugés ?
  • Serge Klarsfeld
    Chez certains, oui. Oui, il y avait des préjugés parce que, bon, elle était allemande, elle était pas diplômée, donc des amis m'ont dit, ont essayé de me dissuader. Mais moi j'étais tranquille, parce que, non seulement j'avais ma mère, non seulement j'avais ma soeur, non seulement j'avais moi-même, mais Beate et moi, on est allé à la Madeleine, dans un petit restaurant russe, et il y a une, comment on dit, chiromancienne, je crois, qui m'a proposé de regarder les lignes de main. Je n'ai jamais fait avant, je n'ai jamais fait après, j'ai donné ma main, et elle m'a dit, tout ce qu'elle m'a dit était juste. Elle m'a dit « La femme qui est à côté de toi, on te dit de ne pas, de ne pas te marier avec elle. Tu dois te marier avec elle, parce que c'est la seule femme au monde avec qui tu peux être heureux. »