Marie Fillet [02:13:15]

L'influence du protestantisme

  • Antoine Vitkine
    Madame Fillet, vous êtes protestante, fille de pasteur. Quelle influence cela a-t-il eu sur votre attitude pendant la guerre ?
  • Marie Fillet
    Je pense que ça en a eu pas mal parce que j'ai été... j'ai fait partie aussi de mouvements de jeunesse protestants comme les Éclaireuses Unionistes et la Fédé étudiante, c'est-à-dire Fédération française des associations chrétiennes d'étudiants rattachée d'ailleurs à la Fédération Universelle. Et nous... surtout dans les associations soit de lycéennes, soit d'étudiantes, on abordait tous les sujets d'actualité. Donc quand j'étais lycéenne, la guerre d'Espagne, et de toute façon au moment de la montée du national socialisme, on avait... nous avions déjà des informations. J'ai lu, enfin ça c'est plus la guerre d'Espagne, Les Grands Cimetières sous la lune de Bernanos par exemple, et alors plus tard au moment où les nazis étaient déjà en place en Allemagne et où il y avait à l'intérieur de l'Eglise protestante en Allemagne, il y avait deux courants : il y en avait une qui était restée un peu inféodée à l'état hitlérien, sans être forcément complètement pour, et puis un autre qui s'est carrément opposée qui était ce qu'on appelait l'Eglise confessante. Et alors nous, nous étions dans nos mouvements étudiants, très au courant de cette Eglise confessante et notamment il y avait, j'avais lu un livre qui s'appelait « Le Village sur la montagne » et qui était l'histoire d'un pasteur d'une paroisse allemande résistant au national-socialisme, enfin dans sa prédication et dans ses contacts avec, avec ses paroissiens. Et ce livre nous avait fortement influencées puis nous étions au courant aussi de l'arrestation du pasteur Niemöller et puis... Enfin voilà c'est déjà un premier, une première chose qui comptait pour nous, c'était pas uniquement, d'ailleurs je vais déborder un peu, je reviendrai sur le protestantisme, mais pour cette période-là, il y avait aussi le lycée qui a beaucoup compté pour moi et les professeurs que j'ai eus au lycée.
  • Antoine Vitkine
    Vous étiez dans un lycée public ?
  • Marie Fillet
    Oui j'étais au lycée Jeanne d'Arc à Rouen et j'ai eu un professeur d'ailleurs qui a été tout à fait résistante et qui s'appelait Mademoiselle Opérie et qui nous faisait le programme du lycée, elle le portait jusqu'à l'actualité, jusqu'en 1939, 38-39, donc là aussi nous étions très dans le coup avec elle.
  • Antoine Vitkine
    De quoi est-ce qu'elle vous parlait ?
  • Marie Fillet
    Ben elle nous parlait de... Je me rappelle plus les détails, mais enfin elle nous parlait de ce qui se passait en Allemagne, de ce qui se passait... des différends en Italie, des... c'était, on était au courant donc de l'actualité, que ce soit par le lycée ou par les mouvements de jeunesse. Et alors d'un autre côté alors je parlais de l'influence du protestantisme. Mon père à Rouen, quand la guerre a commencé, avant même, non, avant la... quand il y a eu Münich, il a fait des prédications, où je me rappelle le texte, c'était : "Paix, paix et il n'y a point de paix". C'était... enfin il montrait que c'était une fausse paix, enfin je sais pas comment l'exprimer.
  • Antoine Vitkine
    C'était la paix, la paix dans le déshonneur.
  • Marie Fillet
    C'était pas tellement une question d'honneur mais bien que ce soit vrai aussi, mais le fait que...
  • Antoine Vitkine
    C'était un leurre.
  • Marie Fillet
    C'est un leurre, voilà exactement, exactement, oui. Et tout au courant de la guerre, alors pas seulement mon père mais les autres pasteurs que j'ai eu l'occasion d'entendre, soit à Rouen, soit à Paris : à Paris c'était le pasteur Maury à Passy qui prêchait et c'était toujours aussi dans le même sens. De même que ma grand-mère qui allait dans une paroisse protestante qui s'appelait l'Oratoire, elle a eu des messages très précis des pasteurs de l'Oratoire.
  • Antoine Vitkine
    On en parlera.
  • Marie Fillet
    Voilà. Et je sais pas comment dire autrement. Alors ceci dit, les positions que j'ai prises par la suite, c'est pas en tant que protestante que je les ai prises, c'est en tant que chrétienne. Il y a une nuance quand même. Mais l'éducation que j'ai reçue et l'environnement que j'ai eu, c'était un environnement protestant, plus un environnement aussi de l'enseignement public. Ce qui compte aussi quand même beaucoup.
  • Antoine Vitkine
    Bien sûr, bien sûr. Je voudrais qu'on en reste, parce qu'évidemment je saisis bien cette nuance, je voudrais qu'on en reste à votre éducation, parce que le fait est que parmi ceux que l'on a appelés par exemple les Amis des Juifs, il y avait une proportion non négligeable de protestants. D'un point de vue théologique, comment est-ce qu'on parlait des Juifs dans l'Eglise protestante dans ces années-là ? Est-ce que vous pensez que vous étiez plus proches, vous connaissiez mieux les Juifs que les catholiques par exemple ?
  • Marie Fillet
    Je pense, oui je crois. J'avais lu des livres d'Edmond Fleg, je me rappelle les titres parce que c'est vieux dans ma mémoire, et ça m'avait beaucoup intéressée. Et donc, de toute façon, la Bible nous était... enfin à cette époque-là parce qu'actuellement c'est totalement différent, mais à cette époque-là, les catholiques étaient assez peu tournés vers la Bible, enfin vers l'Ancien Testament alors que nous, nous l'étions et que nous avions un contact... Enfin dans l'enseignement que nous recevions dans nos églises, l'Ancien Testament avait aussi son importance. Bon à l'école du dimanche, toutes les histoires de David, d'Abraham, de Noé, voilà, c'était tout à fait... Ca faisait partie de notre quotidien, enfin je sais pas comment l'exprimer.
  • Antoine Vitkine
    Si si c'est très clair, bien sûr. Oui c'est pour bien comprendre qu'il y avait, en tout cas à cette époque-là du côté des catholiques, les Juifs déicides pour faire caricatural même si c'était pas exactement ça dans la doctrine officielle de l'Eglise, mais on n'en était pas loin et puis dans la tête de nombreux catholiques c'était ça. Et du côté des protestants, une proximité assez grande avec le peuple juif.
  • Marie Fillet
    Si vous voulez, je ne crois pas que du côté des protestants on considérait que les Juifs étaient plus coupables que d'autres par rapport à la mort du Christ. Mais ceci dit, on affirme que le Christ est venu pour tous. Voilà.
  • Antoine Vitkine
    Est-ce que le souvenir de la Saint-Barthélemy et des persécutions contre les protestants en France était quelque chose de vivace dans votre famille et dans la paroisse où vous fréquentiez ?
  • Marie Fillet
    On en parlait. C'est pas, à mon avis, c'est pas une chose essentielle, j'étais au courant, j'ai, enfin... Mais... et j'y attachais de l'importance mais ou alors maintenant avec les années qui ont passé je vois les choses autrement, c'est difficile vous savez de se remettre tout à fait dans la peau de son époque. Oui ça comptait mais c'était pas... bien sûr ça comptait. Oui. Maintenant ça compte moins je sais pas pourquoi.