Isaac Borne [01:41:31]

Le suicide du frère et la transmission

  • Catherine Bernstein
    Est-ce que le fait d'avoir vécu ce que vous avez vécu avec votre frère, après-guerre, vous en avez parlé ensemble ?
  • Isaac Borne
    Pas longtemps. Mon frère ne supportait pas. On a fait une analyse chacun. Mais l'analyste, on avait le même. Il disait : « pourquoi vous ne parlez pas ensemble ? ». C'était difficile.
  • Catherine Bernstein
    Et lui, comment il a vécu sa judéité après guerre ?
  • Isaac Borne
    Mal, puisqu'il s'était converti, pour se marier avec cette fille qui était chrétienne et d'origine, la famille chrétienne. Donc, dont les parents étaient à Livarot. Il s'est marié, et les crises d'épilepsie, ils ont monté une affaire, ça a marché, il y a eu des problèmes. Ils avaient une des premières affaires d'entreprises en Europe en France de préservatifs. Ils ont eu des problèmes de concurrence japonaise. Et puis d'épilepsie, parce qu'il conduisait la voiture. Il est allé en Israël. Quand il est revenu d'Israël, il a fait une crise épouvantable. Dans les toilettes, il s'est presque cassé les os. Donc, il a eu de multiples raisons de se suicider. Mais je crois qu'il n'a pas supporté Auschwitz non plus.
  • Catherine Bernstein
    Il s'est suicidé combien de temps après sa libération ?
  • Isaac Borne
    En 72. Moi, je..., je réfléchis quand même. Nous avons, on se trouve des culpabilités. Coupable de quoi ? On sait pas toujours. Mais je crois que chaque personne, à la mort des siens, se dit toujours, même aujourd'hui : « on aurait dû, si j'avais su... » C'est vrai que tout le monde fait des choses des fois qu'au moment où il faut aller faire, on ne fait pas. Lui, je ne connaissais pas ses vraies raison. Mais un jour, il avait deux enfants quand même qui étaient jeunes, il s'est jeté par la fenêtre. Il est enterré à Livarot.
  • Catherine Bernstein
    Et vous, vous avez eu des enfants ?
  • Isaac Borne
    Deux. Un garçon et une fille.
  • Catherine Bernstein
    Et vous leur avez parlé d'Auschwitz ?
  • Isaac Borne
    Pas tout de suite. J'en ai parlé beaucoup, trop peut-être. Moi, je comprends que, quand on a été déporté, d'ailleurs je dis dans un article sur un journal, on n'a plus une vie normale. On croit, on croit qu'on a une vie normale. On ne peut pas avoir une vie normale. Et sûrement dans l'éducation des enfants, peut-être j'ai pas fait non plus. Je sais pas, j'ai imprégné de cette idée de la déportation. Peut-être je me suis trop donné en victime, est-ce que c'est une bonne chose, je ne sais pas. Ma fille, elle a... : « Papa, Papa ».
  • Catherine Bernstein
    Mais elle ne vous a pas fait de reproches ?
  • Isaac Borne
    Non, non, non, pas du tout. Mon fils aussi c'est un garçon très gentil.
  • Catherine Bernstein
    Quel est votre métier ?
  • Isaac Borne
    Commerçant. J'ai appris au début de cliver des diamants, mais j'étais pas suffisamment avancé et quand je me suis marié, mon beau-père m'a installé avec ma femme dans un magasin.
  • Catherine Bernstein
    Un magasin de quoi ?
  • Isaac Borne
    Confection naturellement.
  • Catherine Bernstein
    Et vous avez été en Allemagne ?
  • Isaac Borne
    Non, je ne suis pas retourné en Allemagne. J'ai traversé l'Allemagne en camion, après, en sortant de Buchenwald. Raser l'Allemagne, Francfort, par terre. Mais j'ai eu l'occasion de rencontrer des Allemands et quand ils entendent que je suis un ancien déporté, et souvent que c'est l'été sur la plage, ils se sentent pas bien. Mais il y a beaucoup de gens, j'ai rencontré dernièrement là, à Nîmes, un instituteur allemand que j'ai son adresse chez moi, qui m'a demandé de prendre contact avec lui pour parler justement de tous ces événements.
  • Catherine Bernstein
    Vous allez le faire ?
  • Isaac Borne
    Je pense.
  • Catherine Bernstein
    Ça a été important pour vous la constitution d'Israël ? La création d'Israël ?
  • Isaac Borne
    Pardon ? La création d'Israël, ça a été important pour vous ? Oui, bien sûr parce que comme je le disais tout à l'heure, mon père faisait partie du parti révisionniste, sioniste. Et déjà avant la guerre, il y a des gens du Betar de chez nous, qui partent en Israël de façon illégale. Ils rentrent en Israël, dans les kibboutz. C'était important bien sûr. Et ça l'est encore aujourd'hui. On y va quand même quelquefois. J'ai de la famille qui est là-bas... J'ai une cousine d'un deuxième mariage de mon oncle, qui, donc maintenant elle a cinquante cinq ans, ils sont à Tel-Aviv, ils nous reçoivent toujours avec beaucoup de... un accueil toujours formidable.. Et j'ai des cousins, des cousines là-bas.