Edouard Axelrad [02:47:20]

L'arrestation par la Gestapo, la torture, la prison des Baumettes

  • Jean-Baptiste Péretié
    Est-ce que avec votre mère et avec votre frère, vous aviez fait la démarche de vous faire enregistrer comme Juifs ?
  • Edouard Axelrad
    Absolument pas. Absolument pas. Et même ma soeur, nous étions trois frères et une soeur, ma soeur, habitait les Etats-Unis, avait les démarches pour obtenir un visa. Le visa qu'elle avait obtenu était un visa triple, pour mes deux frères et moi, pour mon frère et moi, plus ma mère, et il était pas divisible. Moi, personnellement, je n'avais aucune envie de partir. Mon frère, pas tellement, mais il ne pouvait pas du fait qu'il avait l'âge du STO. Si bien que nous sommes allés à l'ambassade des Etats-Unis, dont le consul, qui était assez désagréable d'ailleurs, et il nous a dit que le visa n'était pas divisible, et que ma mère ne pouvait pas partir ou ne pouvait partir qu'avec nous deux. Et donc, on est restés là, et on n'est pas partis. Mais nous ne nous sommes jamais déclarés comme Juifs. Alors l'arrestation n'était pas une arrestation en tant que Juif.
  • Jean-Baptiste Péretié
    On va y venir. Vous aviez conscience, vous, que, en tant que Juif, et en plus d'être résistant, en quelque sorte, vous couriez un danger supplémentaire ?
  • Edouard Axelrad
    Bien sûr. Bien sûr, et c'est l'une de mes... si vous voulez, de mes remords, mon remords principal. Etant donné le travail que je faisais et le fait que je vivais d'une manière officielle dans la même maison que ma mère, je lui faisais courir un danger que je n'aurais jamais dû accepter de lui faire courir. Je le faisais avec une espèce d'inconscience joyeuse que je ne m'explique pas aujourd'hui. Je voyais les choses à travers un prisme déformant, je me rendais pas compte. Alors, ce qu'il s'est passé un beau jour, c'est que j'avais reçu... en tant que chef du groupe, je n'avais plus le droit moi-même de participer à une action donnée. Je pouvais contrôler... et l'ordre avait été donné, ce jour-là, de supprimer un fonctionnaire de la préfecture qui, malgré les diverses remontrances qui lui avaient été faites, avait refusé de saboter les listes du STO. Bon, il avait reçu un avis, il avait reçu un petit cercueil, et y avait pas eu moyen... donc l'ordre avait été donné de le supprimer. La façon dont les choses se passaient, puisque c'était pas quelque chose d'extraordinaire, la façon dont les choses se passaient était la suivante. Nous n'avions pas de voiture ni de vélo, on travaillait à pied. Deux hommes étaient chargés de le faire, étant donné que les armes que nous avions étaient réellement très déficientes, il y en avait deux autres que les deux premiers ne connaissaient pas, qui assuraient la sécurité au cas où ça se passe mal. Normalement, j'aurais jamais dû me trouver là. Mais l'un des deux hommes qui devaient faire l'action était un nouveau, qui m'avait été plutôt imposé et dans lequel j'avais pas confiance. Donc je me suis dit, je vais aller, je vais être l'un des hommes de protection... Je vais voir comment les choses se passent. Elles se sont mal passées. Le garçon, au lieu de faire comme il l'aurait dû, c'est-à-dire, croiser l'homme, le dépasser de deux pas, se retourner et tirer, a dégainé quinze pas avant de le... L'autre s'est mis à hurler, s'est jeté par terre, s'est roulé par terre, en disant : « Non, non, non, pas ça ! » Ben ils se sont emmêlé les pieds, ça a été affreux. Malgré tout, il a été, il a été tué. Et les deux types, ont réussi, les deux hommes ont réussi à partir sans que la sécurité ait à intervenir. Mais j'étais, moi-même, soupçonné déjà depuis longtemps et filé. Si bien que, de retour chez moi, j'ai planqué les armes que j'avais sur moi, qui d'ailleurs, n'ont jamais... que j'ai retrouvées à mon retour de déportation, on ne les a pas retrouvées. Les Allemands ne les ont pas retrouvées. Mais trois minutes après, la Gestapo sonnait à ma porte. « Qu'est-ce que tu as fait ce matin ? » « J'étais à l'autre bout de Marseille », j'avais pas pris la précaution de me couvrir, quoi. « J'ai été me promener ». Ça a commencé comme ça, et ça a duré dix jours. Au bout de dix jours, ils ont arrêté.
  • Jean-Baptiste Péretié
    Dix jours au cours desquels vous avez été torturé ?
  • Edouard Axelrad
    Dix jours au 437 rue Paradis, à la Gestapo, oui, dix jours. C'était le matin, le soir, la nuit, deux fois de suite, vingt-quatre heures sans rien, enfin. Au bout de dix jours, j'arrivais plus à parler même si je voulais, donc ils m'ont mis ce qu'ils appelaient au frigidaire. C'est-à-dire à la prison des Baumettes, tranquille.
  • Jean-Baptiste Péretié
    Lorsqu'ils vous ont torturé, ils voulaient, bien sûr, obtenir des informations sur d'autres membres de la Résistance ?
  • Edouard Axelrad
    Oui j'ai été, j'ai été... Mais les, les, j'ai pas eu la baignoire, l'électricité, oui, bien sûr. J'ai pas eu la baignoire, et j'ai surtout eu des coups. Des coups, des coups, des coups. J'ai surtout eu des coups dans la tête. J'avais la tête, comme un ballon. Et ça reprenait, ça reprenait, toujours les coups au même endroit. A la fin... Mais ils ont pas cassé de dents. Allez savoir ! Bon. J'ai passé presque un mois aux Baumettes, dans une cellule, avec un « mouton », je l'avais démasqué rapidement.
  • Jean-Baptiste Péretié
    Qu'est-ce que c'est un « mouton » ?
  • Edouard Axelrad
    C'est-à-dire, c'est quelqu'un qui disait : « Je comprends pas, moi, pourquoi je suis là ». « Toi, au fond toi, au moins, tu as une consolation, c'est de savoir pourquoi tu y es, hein ? Hein ? Hein ? » Je dis : « Non, je sais pas ». C'était... Bon... Et au bout d'un mois, alors, il s'est passé un truc absolument incroyable.
  • Jean-Baptiste Péretié
    En fait, cet homme était là pour vous soutirer les informations qu'on n'avait pas réussi à vous soutirer en vous torturant ?