Patrice Leconte [07:47:56]

Tango (1993) : le trio Noiret, Bohringer et Lhermitte

  • Danièle Heymann
    1993, nous sommes à Tango, après Le Mari de la coiffeuse. Alors Tango, quelle est la place de Tango ?
  • Patrice Leconte
    Je crois que c’est François Truffaut qui disait que : “Tout nouveau film devait être le contraire du précédent”. Il avait raison. Moi je trouve pas que les films de Truffaut soient toujours le contraire du précédent, mais peu importe, mais en tout cas la formule est précieuse. Et si Tango est né c’est parce que je venais de faire Monsieur Hire et Le Mari de la coiffeuse, qu’étaient des films relativement confinés et que je rêvais d’être dehors. Je rêvais qu’il y ait des routes, des autoroutes, des bagnoles, des avions, enfin, je voulais que ça bouge, qu’on soit sur des routes, qu’on change d’hôtel tous les jours. Voilà, c’était cette excitation-là. Et il se trouve aussi qu’à cette époque-là j’étais vraiment, mais vraiment, très impressionné par la liberté d’écriture de Bertrand Blier. Ça, ça me fascinait. Je me disais : “Mais, mais comment il fait pour se donner le droit de cette liberté-là ?”. Et le film, Tango je l’ai écrit tout seul, et le film j’en connais les limites par cœur, le film est vraiment plus ou moins consciemment, mais assez consciemment, écrit sous influence de Blier. Cela dit, le film, moi j’ai adoré le faire parce que justement on sortait de chez Monsieur Hire et d’un salon de coiffure et qu’avec mon assistant… C’est à mon assistant, Étienne Dhaene, de l’époque, que j’avais dit : “Attends, tu te fais chi…, tu t’emmerdes là sur Le Mari de la coiffeuse”, parce qu’il était là dans un petit coin et tout ça, “Attends, je vais t’écrire un film, on va y aller, ça va être costaud à faire”. Ça a donné Tango. Ça m’amusait cette idée de, cette idée de faire un faux film misogyne mais en me moquant évidemment de la crétinerie de nous autres les hommes dans nos rapports lâches et crétins avec nos infidélités, enfin, toutes ces choses… Et le film, sans doute, aussi parce qu’il était sous influence de Blier, le film a vraiment été pris comme un film très misogyne au premier degré. On a, le jour de la sortie, fait la plus grosse bêtise de notre vie. Moi, je trouvais ça super, mais bon, ça a pas été très bien pris, c’est qu’on a fait une avant-première, le mardi, donc la veille de la sortie, dans une double salle aux Champs-Élysées, le Gaumont, et les gens arrivaient et on disait : “Les hommes sont dans cette salle et les femmes sont dans celle-là”. Ça a pas été super bien pris. D’autant plus que moi, j’allais d’une salle à l’autre et dans la salle des hommes, ça se marrait bien et dans la salle des femmes, ça se marrait pas trop. Et le seul fait d’avoir séparé les hommes des femmes ça… enfin… Ça signait le forfait… donc ça, c'est une idée stupide, mais j’ai cautionné donc, tant pis pour moi. Mais Tango, y’a deux ans dans une petite ville, à Visan, dans une petite ville de la Drôme, c’est pas la Drôme, c’est , mais on s’en ficshe on fait pas de la géographie, ils organisent tous les ans des projections en pl grandesein air et y’a deux ans, ils ont passé Tango. Parce que le film a été en grande partie tourné dans la région. La salle, enfin la non-salle puisque c’était dehors, était pleine à craquer. Moi qui n’aime pas trop voir mes films je reme suis dit : “Oh, bon, ben, on va rester là, il nous ont invités gentiment, on a bu des très bons vins blancs, on va rester”. Et les gens se gondolaient comme c’est pas permis. Le film, avec le recul une fois qu’on l’a dépoussiéré de cette étiquette misogyne, le film est vraiment très drôle. Drôle, actif, décalé, l’influence de Blier est toujours un peu envahissante, j’assume, et je plaide coupable, ok d’accord. Mais malgré tout si on dépasse ça, le film est fort drôle. Et je l’aime bien.
  • Danièle Heymann
    Le casting ?
  • Patrice Leconte
    Le casting il était brillant alors ça… le casting… Philippe Noiret… C’était l’occasion au départ de retrouver Thierry Lhermitte. J’ai eu… j’ai pas encore la collection complète, mais j’ai eu du plaisir à retrouver chaque membre du Splendid en solo. Alors Michel Blanc, c’était fait, sur plusieurs films, en tout cas sur Monsieur Hire. Jugnot, c’était fait sur Tandem et là, je passais à Thierry Lhermitte. Et donc je fais lire le scénario à Thierry qui trouve que ce ton-là lui convennait bien, il adore, il me dit “oui” tout de suite. Et puis Philippe Noiret me tentait, me plaisait, parce que je trouvais que de lui faire jouer un personnage aussi peu… enfin… un peu à l’opposé de ce qu’il est d’habitude parce qu’il est un peu le baron du cinéma, enfin, il était le baron du cinéma et là, d’un seul coup, je trouvais qu’il y avait de la subversion. Un juge qui pousse au crime, c’est quand même pas banal. Et puis en râleur impénitent, Bohringer s’imposait aussi. Je trouvais que c’était un trio un peu hétéroclite mais en fait c’était un duo, c’était deux plus un. Parce que Lhermitte et Noiret se connaissaient bien, ils avaient joué Les Ripoux… Je crois oui, déjà. Alors que Bohringer était la pièce rapportée. Ça grinçait un peu, mais ça me déplaisait pas que ça grince. Parce que leur trio, n’était pas un trio, c’était un trio contre nature, c’était pas un trio très bien huilé. Et puis autour y’avait Miou-Miou, Carole Bouquet, Michèle Laroque, y’avait du monde, c’était drôle. C’était marrant. C’était vraiment bien à faire et je conserve un très bon souvenir de ce film.
  • Danièle Heymann
    C’est un film qui prend l’air justement après les films confinés. Tout à coup, c’est les extérieurs, c’est l’air.
  • Patrice Leconte
    Non seulement ce film nous emmenait dehors à la campagne, mais pas que à la campagne, sur les routes, mais je rêvais de filmer des avions, des voitures, des cascades. On a fait des trucs dans ce film, invraisemblables. Culottés même. Risqués. Mais bon, on assumait ça, on était content. On n’avait pas froid aux yeux et comme depuis Tandem, c’est à partir de Tandem, que je me suis mis à cadrer mes films moi-même, à tenir la caméra comme on dit. Et sur Tango j’ai fait des trucs… C’était très bizarre parce qu’on faisait des trucs un peu dangereux parfois, avec des avions ou des voitures. Mais comme c’est moi qui cadrais, je prenais physiquement des risques. Quand vous dites à un cadreur et à son assistant opérateur et à un machiniste : “Tiens, tu vas faire ça”, et que vous restez tranquillement dans votre fauteuil devant l’écran de télé de contrôle, les types ils peuvent vous dire : “Dis donc, non, non, attends c’est dangereux”. Mais quand c’est vous qui le faites, et que vous êtes le metteur en scène du film, ils peuvent pas dire “non”, donc ils sont obligés de venir avec. Mais avec le recul, on a fait des trucs et j’en parle souvent… Enfin, parfois, avec Jean-Marie Dreujou, qui était chef opérateur… Non, assistant opérateur sur le film et il me dit : “Aujourd’hui on ne ferait plus ça, on n’oserait pas, on nous interdirait de la faire”. Par exemple y’avait sur un… Je trouvais que c’était une bonne idée, moi, Richard Bohringer au volant d’une coccinelle jaune décapotable et décapotée, pour faire un raccourci, il travaille dans un aéro-club, pour prendre un raccourci, il passe par la garrigue, puis il arrive au bout de la piste d’envol. Parce que comme ça, il va pouvoir couper et arriver au hangar plus facilement. Mais manque de pot, à l’autre bout, il y a un avion d’Air Inter qui est en train de décoller. Et l’avion a commencé à prendre son élan. Un avion avec deux grosses hélices comme ça. Et la scène, c’est que Bohringer dit : “Allez ! Décolle ! Décolle !” Et dans l’avion, c’est : “Mais pousse-toi ! Pousse-toi !” Donc c’est avion contre coccinelle jaune. Et par miracle évidemment, l’avion décolle au dernier moment et passe juste au-dessus de la coccinelle. Donc, on met ça en place. Le pilote, c’était un vrai pilote d’avion évidemment. Le pilote de l’avion répète suffisamment pour qu’on détermine à quel endroit il quittait le sol, et pour que le cascadeur qui doublait quand même Bohringer, c’est pas Bohringer, il était filmé de dos, et que le cascadeur sache qu'à telle vitesse l’avion lui passerait au dessus. Et nous, caméras, on était dans une voiture travelling qui suivait la coccinelle, donc l’avion nous passait…enfin, qui suivait à deux mètres la coccinelle… Donc l’avion nous passait au-dessus du crâne aussi. Et si l’avion, juste, c’est un passage gore mais, si l’avion n’avait pas décollé à temps on était déchiquetés par l’hélice. Et vous auriez interrogé des tranches de saucisson.
  • (Silence)