Frida Wattenberg [02:42:03]

Le sauvetage de la communauté juive de Nice

  • Frida Wattenberg
    « Propre de Juif », c'est-à-dire qu'il y avait plus de Juifs à Vienne, et c'était le travail d'Aloïs Brunner qui, ensuite est arrivé à Nice et a commencé à arrêter. Nice, c'était un endroit où on pouvait cacher les gens du fait que c'était un lieu où il y avait des hôtels, de la cave au grenier, c'était plein de Juifs, il n'y avait qu'à venir et se servir. Alors à ce moment-là, Toto m'a appelée et m'a montré une valise, il l'a ouverte, j'avais les yeux comme cela, c'était plein de billets. Il m'a dit : « Tu descends à Nice et tu vas à telle adresse et tu donnes cet argent à Jacques Weintrob, et si pour une raison ou une autre, Jacques Weintrob est parti quelque part, tu le donnes à Henri Pohorylès à telle adresse ».
  • Antoine Vitkine
    Jacques Weintrob qui s'occupait donc du sauvetage des Juifs et qui était le correspondant du MJS de Nice.
  • Frida Wattenberg
    Et donc, je prends le train, j'arrive à Nice, j'arrive boulevard Dubouchage dont vous avez dû entendre parler, c'était le lieu où la communauté se réunissait, tout y était mélangé, c'est-à-dire, il y avait le service social, il y avait les fausses cartes d'identité, il y avait les choses religieuses, c'était la vie juive à l'endroit. Et moi, j'arrive, c'était entouré par les Allemands. Moi, j'ai ma valise, pleine de billets. Dans le train, nous étions séparés ma valise et moi, on ne voyageait pas dans le même compartiment ; et je suis allé rechercher Henri Pohorylès, qui était content que l'argent soit arrivé, et qui dit à son frère Zizi Pohorylès de m'emmener chez les parents de Cachou, je ne connaissais pas Cachou. Et quand nous nous approchons de la maison des parents en question, on voit une espèce de limousine noire - lui, il avait l'habitude - il dit : « Tu sais, c'est peut-être les Allemands, viens on s'en va » et il y avait couvre-feu à Nice, puisque c'était une ville portuaire. Tout ce qui était bord de mer était surveillé, a été en couvre-feu. Et après huit heures, à cette époque-là j'étais plus mince qu'aujourd'hui, Zizi sur son vélo et moi sur le cadre, nous sommes allés sur la Promenade des Anglais pour aller rejoindre un petit hôtel que lui connaissait où nos copains se réunissaient. Et peu de temps après, il y a un gars qui est arrivé, Jacques Marburger, qui est décédé il y a quelques mois là, et Jacques nous dit qu'il a été arrêté dans la rue en même temps que Jacques Weintrob, que tous les deux sont emmenés à la Gestapo ; Jacques Marburger rentre le premier et est interrogé, et quand il sort, il se met à hurler d'une manière démente :« Qu'est-ce qu'ils m'embêtent tous ces gens-là, je leur ai pourtant bien expliqué, que je suis étudiant en ceci, que j'étudie cela, que j'habite à tel endroit » ; c'est-à-dire il racontait à Jacques son interrogatoire, à Jacques Weintrob. Puis Jacques Weintrob est passé et on leur a dit à tous les deux qu'il n'y avait rien à leur reprocher, qu'ils pouvaient partir. Ils sortent, et tout à coup, Jacques Weintrob se souvient, quand ils sont arrivés, ils avaient un bagage et on en avait fait poser les bagages à un certain endroit, et il veut aller récupérer son bagage, et Jacques lui dit : « Tu ne vas pas récupérer ». Et il dit :« Mais je ne peux pas, c'est plein d'argent, c'est plein de fausses cartes d'identité, c'est plein de photos ». A un endroit où on arrête les gens comme ici, et Jacques y est retourné, inutile de vous dire qu'il n'en est pas ressorti ; tandis que Jacques Marburger, quand il a vu, il avait eu tellement peur, il y avait des grands buissons autour de la Kommandantur, il s'est caché dans les buissons, et il est resté là jusqu'au soir. Et le soir, il est arrivé à l'hôtel où moi je me trouvais. Et c'est comme cela que nous avons appris que Jacques avait été arrêté. D'ailleurs, j'ai eu dans la main la copie d'un télégramme, un télex que les services de Aloïs Brunner ont envoyé à Drancy pour prévenir que Jacques Weintrob va arriver, qu'il fallait l'envoyer tout de suite en Allemagne parce que ce type avait déjà envoyé, je crois qu'ils ont dit vingt convois d'enfants en Suisse, enfin tout un tas de choses. Peut-être qu'ils l'ont interrogé après qu'il a dit cela, pour vous dire, avec l'argent que j'ai apporté, j'ai su, enfin une partie de l'argent, on avait loué des autocars, on avait mis des banderoles tout autour de compagnies de tourisme, on avait mis des Juifs dedans, et ces autocars avaient des chauffeurs qui roulaient très très mal et qui étaient toujours dans l'encombrement de l'armée italienne qui repartait en Italie, qui refluait en Italie. Alors il y a eu comme cela...
  • Antoine Vitkine
    Donc, ces autocars sont partis vers l'Italie...
  • Frida Wattenberg
    Quelques autocars, bien sur, sur les milliers de gens qu'il y avait. Il y a eu aussi une grande action, d'ailleurs, au mois de septembre, il va y avoir la commémoration à Saint-Martin de Vésubi, c'est une vallée encaissée où on a appris que les Allemands allaient arriver. Deux personnes de l'Armée juive et du MJS sont venues, ont entraîné les gens dans la montagne, ils ont emmené un millier de personnes, il y a environ six cents qui sont arrivés en Italie. J'ai une de mes amies qui y était, et vu son âge, ils n'ont pas permis d'avancer vite avec les autres ; il fallait qu'elle aide des vieux à grimper ou qu'elle s'occupe de bébés, parce qu'au fur et à mesure, c'était une espèce d'entraide, cela a été le sauvetage qu'on a pu faire à Nice.
  • Antoine Vitkine
    C'est à cette période-là que vous avez apporté des colis aux prisonniers ?
  • Frida Wattenberg
    Les colis aux prisonniers, non, c'est quand j'étais à Toulouse