Simon Liwerant [03:01:23]

Le passage en Suisse

  • Antoine Vitkine
    Comment ça s'est passé le passage vers la Suisse, comment est-ce que vous avez franchi la frontière ?
  • Simon Liwerant
    Alors, on est parti d'abord de Figeac, et on est passé à Aurillac. À Aurillac, j'avais ma tante... J'avais une tante, la cousine germaine de mon père qui était réfugiée à Aurillac. Donc elle m'a donné cinq mille francs. Parce que je savais son adresse, je montais lui faire un bisou. Et comme elle n'était pas gênée, c'étaient des gens qui étaient très fortunés à l'époque. Donc on est repartis de Figeac, on est partis à Clermont. À Clermont, on m'a obligé à laisser mon carnet de timbres poste. Ça je l'ai regretté hein parce qu'il y avait de la valeur. Et puis on est partis à Lyon. A Lyon, j'ai cassé mes lunettes. J'ai été voir mon cousin qui habitait Lyon, il m'a donné l'argent pour pouvoir faire réparer mes lunettes. J'ai réparé mes lunettes dans l'après-midi. On est reparti et on est arrivé à Culoz donc. Et on nous a dit voilà, vous êtes un groupe de trente. Il y a une monitrice c'était donc...
  • Antoine Vitkine
    Marianne Cohn !
  • Simon Liwerant
    Marianne Cohn ! On doit descendre à Saint-Julien. Tout le monde descend à Saint-Julien, rappelez-vous. Bon, j'étais certainement assez en éveil de tous ces trucs-là puisque j'en avais eu pas mal. Et à un moment donné le train s'arrête. Et je vois passer une petite affiche sur un poteau, Saint-Julien. Personne ne bouge, je me lève et je frappe au carreau du compartiment où il y avait Marianne. J'ai dit : Mais on est à Saint-Julien ! Ah bon ? Et comme ils parlaient entre eux et tout, ils n'avaient pas fait attention. Parce que le chef de gare normalement il aurait dû crier Saint-Julien, tout le monde etc. Quand je vois ça, je me lève et il y a d'autres copains qui suivent. Je cours vers la porte du wagon et j'ouvre la porte. Mais comme une cloche, j'ouvre la porte de droite, parce que le couloir était sur la droite. Les rails... Je saute sur le ballast. Les quais, ils étaient à gauche. Il y en douze ou quinze qui sautent. J'entends le coup de sifflet du chef de gare. Ma femme, ma femme ! ma fiancée, elle allait pour descendre quand elle a vu le train qui s'est mis en marche elle a dit moi je ne saute pas. Et le train est parti avec quinze ou dix-sept. Le passeur il arrive, il dit mais comment ça se fait que vous êtes seuls ? Je lui ai dit écoutez, j'ai ouvert la porte c'était le plus court, il fallait que tout le monde descende mais le train euh je ne savais pas mais finalement c'était du côté ballast. Et comme j'ai sauté tout de suite en ouvrant la porte les autres ont suivi, oui mais le train est reparti. Qu'est-ce qu'on fait ? On dit bon ben... Il y avait un copain là, le plus âgé de nous qui avait dix-sept ou dix-huit ans, Jacques Majerholc et il était parti avec. Il y a plusieurs des copains qu'on a rencontrés après avec Frida Wattenberg dernièrement. Donc le passeur nous dit vous allez vous asseoir, là au bord de la clairière à coté des rails, enfin à 20-30 mètres des rails et on va attendre, ils vont descendre, ils vont revenir. Et puis au bout d'une demi-heure on entend un groupe de jeunes qui chantent Youkaïdi, youkaïda. Ah ça y est ! Les voilà ! Et qu'est-ce qu'on voit ? Notre petite troupe le long des... sur un sentier. Et ils marchaient. Il y en a un qui portait le plus petit qui avait six ans sur les épaules. Et tout le monde chantait. Et on se retrouve tous ensemble. Donc figurez-vous que quand ils sont descendus à la gare d'après, Annemasse, ils ont voulu suivre les rails pour être sûr de retrouver à Saint-Julien. Mais ils ont rencontré un cantonnier parce qu'ils marchaient sur les rails. Le cantonnier leur a dit mais qu'est-ce que vous faites là ? Il dit : « Mais si les boches, ils passent -il dit-, vous vous retrouvez tous en tôle ! Quittez les rails ! Fichez le camp d'ici ! Prenez un chemin, longez les à vingt mètres, trente mètres mais ne restez pas sur les rails » . Donc ils sont descendus. Et puis on les retrouve. Et le passeur dit bon maintenant que vous êtes tous ensemble. Il nous emmène à travers bois. On arrive à un endroit où les arbres s'arrêtent. Il y a vingt, vingt-cinq mètres, une rangée de barbelés, encore vingt, vingt-cinq mètres. Et en haut de la colline il dit c'est la Suisse. Bon, il dit maintenant moi je vous laisse, courez vite ! D'accord. On commence à partir à courir. Ma fiancée elle se prend les cheveux dans les barbelés. Au moment où elle passe, il y en a un qui a lâché les barbelés et elle se prend une touffe de cheveux dans les barbelés. Moi je suis derrière. Et tout le monde crie : Au pire arrache ! Ou pousse ou quoi ! Je veux dire, elle avait les cheveux jusqu'à la moitié du dos.
  • Antoine Vitkine
    Parce que attendez, ce n'est pas votre fiancée à l'époque, hein !
  • Simon Liwerant
    Non, non, non !
  • Antoine Vitkine
    Vous avez le béguin pour elle, c'est tout.
  • Simon Liwerant
    Oui, oui ! On était souvent ensemble hein. On avait une petite attirance. Donc...
  • Antoine Vitkine
    On n'en est que là, et vous vous précipitez...
  • Simon Liwerant
    Je ne peux pas la laisser là de toute façon, il n'en est pas question. Je commence à défaire les cheveux sur les barbelés. On est restés les derniers. Bon, au bout de... je ne sais pas ça a duré au moins trois-quatre minutes hein. Tout le monde criait : Mais les boches ils vont passer, mais tire, mais coupe mais qu'est-ce que tu fais mais... Et moi, tranquillement je défais les trucs, j'ai soulevé les barbelés. Elle est passée. Je suis passé. Et puis d'un seul coup, je me trouve devant un uniforme vert de gris. Je suis resté saisi. J'ai dit merde en moi-même, un boche ! Je suis resté comme ça. J'ai pas pensé que les autres ils venaient de passer. Comme je suis passé le dernier. J'ai dit c'est un boche. Et puis le gars qui me faisait allez, allez. Je disais mais c'est pas vrai ! Je suis resté sur place. Et puis d'un seul coup j'ai vu les boutons d'uniforme, j'avais remarqué les Allemands ils avaient des boutons d'uniforme en aluminium. J'avais trouvé ce truc... et lui il a des boutons dorés. Et d'un seul coup je me suis dit les boutons ce n'est pas un Allemand, c'est un Suisse. Fuiit, je suis parti en courant. Il m'a soulevé le truc et puis je suis passé, mais alors... Sur le coup, j'ai dit je suis quand-même idiot. On nous dit que c'est la Suisse et je crois trouver un Allemand sur mon truc. Et puis finalement eh ben, on est arrivé en Suisse tous ensemble. Et toutes les filles et tous les garçons ils ont été rasés sauf ma femme parce qu'elle avait les cheveux propres. C'est la seule. Tous les autres, ils avaient une petite mèche et un foulard. Sara....
  • Antoine Vitkine
    Et puis vous avez... vous êtes, on ne peut dire que vous êtes amoureux de votre femme sur les barbelés mais c'est plus que ça.
  • Simon Liwerant
    Non, non, avant ! Quand je l'ai vue.
  • Antoine Vitkine
    Donc vous avez partagé ce moment un peu tout seuls tous les deux au moment de passer la frontière sur les barbelés.
  • Simon Liwerant
    c'est-à-dire que, ouais mais quand on était en Suisse tout le monde savait, Simon, Simone ils sont inséparables.
  • Antoine Vitkine
    Simone c'était son nom, un faux nom !
  • Simon Liwerant
    En vérité si vous voulez, on l'a appelé souvent Simone parce que Sara c'était tout à fait...
  • Antoine Vitkine
    Mais elle s'appelait, enfin elle s'appelle Sara comme votre mère.
  • Simon Liwerant
    Son vrai prénom c'est Sara, voilà ! Exactement ! Et je vous dis il y avait des trucs bon par la suite. Il y a des coïncidences mais franchement c'est... des fois c'est... Il y a quelque chose qui est... qui doit être inscrit. Elle est née le jour où mes parents se sont mariés. Elle s'appelle Sara. Dans le même convoi, il y avait son père, il y avait mon père. Des trucs comme ça, c'est-à-dire ça fait des... je ne sais pas, ça a fait des liens qui sont différents. Et on n'est jamais partis l'un sans l'autre, on ne s'est jamais quittés quoi qu'on fasse, quoi qu'on travaille et quoi, il n'y a jamais eu un jour de séparation. C'est... aussi bien de son côté que du mien, c'est comme ça !
  • Antoine Vitkine
    Ce qu'il faut dire aussi c'est que l'accompagnatrice qui était donc avec votre groupe ce jour là, une des accompagnatrices, elle s'appelait Marianne Cohn et une semaine plus tard...
  • Simon Liwerant
    Ah oui, parce qu'elle nous a laissés en Suisse. Elle, elle est restée. Elle nous a accompagnés puis elle a dit moi je repars. Et une semaine après, elle s'est fait attraper avec un groupe d'enfants. Et les enfants ils ont été sauvés par le maire d' Annemasse. Et elle, elle est restée. Et il lui avait proposé de la sauver elle en disant les enfants ils ne risquent rien, toi si tu veux et tout. La résistance lui avait proposé. Elle avait peur qu'on ne lâche pas les enfants et que elle, elle soit sauvée. C'est vraiment l'abnégation.
  • Antoine Vitkine
    Et donc elle a été torturée à mort par les Allemands.
  • Simon Liwerant
    Et elle a été...Ils ont maltraité son cadavre, je crois, ils ont...