Adolfo Kaminsky [03:42:52]

Le circuit de fabrication des faux papiers

  • Jean-Baptiste Pérétié
    Est-ce que vous pourriez expliquer quel était le, disons, le circuit de fabrication des faux papiers, c'est-à-dire qui vous disait quels faux papiers il fallait fabriquer, et une fois qu'ils étaient fabriqués comment est-ce que vous les acheminiez vers leur destinataire ?
  • Adolfo Kaminsky
    Alors voilà. Le laboratoire, personne n'y mettait les pieds, sauf ceux qui y travaillaient, ça veut dire Loutre, Suzie et moi, et Nénuphar qui venait par la suite de temps en temps, et qui, je m'en suis rendu compte après, s'occupait de moi comme si j'étais encore un enfant, ça veut dire dans l'ombre prenait... se préoccupait. Par exemple quand je me suis évanoui après quatre jours et je ne sais combien de nuits de travail sans interruption parce que il fallait faire face et puis en plus les choses, c'est pas si facile quand on a appris tout seul, on trouve des raccourcis, les demandes augmentent, enfin bref. Et elle m'a donc emmené chez une amie à elle, Francine, qui se trouve être... qui a par la suite épousé un cousin germain de Vidal Naquet, bon ça, ça fait partie d'une parenthèse, où j'ai dormi vingt-quatre heures et puis c'est un lieu où de temps en temps, quand j'étais épuisé, je pouvais faire un repas normal.
  • Jean-Baptiste Pérétié
    C'est-à-dire que vous travailliez jour et nuit à la fabrication de faux papiers.
  • Adolfo Kaminsky
    Pas tout le temps, mais il y a eu des périodes d'urgence, c'est-à-dire on savait qu'il allait y avoir une rafle tel jour à telle heure, bon il fallait... on avait une liste de gens qui avaient déjà leurs faux papiers, d'autres qui les attendaient, et il fallait et les prévenir et leur apporter les compléments nécessaires pour certains.
  • Jean-Baptiste Pérétié
    Comment vous saviez que des rafles allaient avoir lieu ?
  • Adolfo Kaminsky
    Alors ça c'était Girafe, c'est-à-dire le docteur Freddy Menahem qui est encore vivant.
  • Jean-Baptiste Pérétié
    qui était le chef de la sixième,
  • Adolfo Kaminsky
    ... qui était le chef de la sixième purement administratif. Il savait pas où est le laboratoire, il y a jamais mis les pieds, d'ailleurs un moment il y avait un premier responsable de la sxième qui a dû partir en Suisse précipitamment, qui a été remplacé par Albert Akerberg qui était le dernier responsable de la sixième et qui était furieux de ne pas avoir l'adresse du laboratoire. J'ai dit : « Non, il en est pas question », « Mais je paie ». J'ai dit : « Ça n'a rien à voir », bien sûr ça veut dire les frais étaient pris en charge et c'est normal, mais il n'avait pas à mettre les pieds au laboratoire. C'était une... Le laboratoire est allé jusqu'au bout sans qu'aucune police n'y arrive, ça a été un principe qu'on m'a quelquefois reproché, mais on m'a félicité après. Bref alors quand j'ai fait le laboratoire... le petit laboratoire de... du 17 rue des Saints-Pères, ça ne servait qu'au remplissage et des... et aux décolorations, etc. J'ai fabriqué une table avec des espèces de planches genre tiroir pour que les papiers humides que je décolorais, parce que je décolorais au trempé où toute la surface il était plus question de ne faire qu'une partie, les recolorations étaient faites aussi au trempé avec des liquides très alcoolisés qui permettaient... qui faisaient que le papier ne gonfle pas, enfin il fallait à chaque chose inventer une solution comme quand les filigranes transparents ont commencé à exister bon j'ai trouvé une solution aussi qui n'est même pas connu aujourd'hui des, des professionnels. Mais pour en revenir à cette histoire, la cuisinière très maternelle un jour de la pension de famille du 27 rue Jacob, ça s'appelait... le nom va me revenir, pension Guillemot, m'avait pris comme ça en affection, pas moi spécialement mais les jeunes, et un jour je dis, je ne sais pas comment à l'un des jeunes que je voudrais faire de la photo, de la recherche sur la photo en couleurs. Je connaissais rien à la photo. Alors à ce moment-là le fils de madame Guillemot qui était le monsieur d'au moins soixante-dix ans parce que madame Guillemot était très âgée me dit : « J'ai une photo de ma fille décédée, c'est une, comment s'appelle, lumicolor », vous savez aux grains de fécule de pomme de terre, etc. Bon j'y connaissais rien, il me l'a donnée, il voulait que je fasse une copie. La cuisinière à qui j'avais dit que je voulais... j'ai commencé dans ma chambre à faire des petites expériences, m'a dit : « Ecoutez, j'ai une chambre de bonne là-haut qui ne me sert pas » parce que bon elle vivait avec son bonhomme, enfin un ami à elle, ailleurs, et sa chambre de bonne faisait partie de son salaire, elle l'utilisait pas, elle l'a mise à ma disposition et c'est là que j'ai installé le premier laboratoire de photogravure, des... où j'étais vraiment... sous prétexte de recherche de photos en couleurs. Alors du coup il a fallu que j'engloutisse, j'ai acheté le livre de Clerc qui venait de sortir, un livre connu qui a disparu aujourd'hui de la circulation, épais comme ça, passé des nuits, j'ai englouti tout ça pour pouvoir faire face à ce mensonge. Et j'ai trouvé ça passionnant.