Adolfo Kaminsky [03:42:52]

Le « laboratoire » du faussaire

  • Jean-Baptiste Pérétié
    C'est-à-dire que lorsque vous arrivez dans ce laboratoire entre guillemets qui était bien sûr une pièce clandestine, le principe c'était de partir de documents...
  • Adolfo Kaminsky
    existants...
  • Jean-Baptiste Pérétié
    existants et de les entre guillemets de les nettoyer. Et vous, ce que vous avez proposé, c'est de fabriquer des faux.
  • Adolfo Kaminsky
    C'est de fabriquer, il fallait, il en fallait tellement et puis et puis souvent les gens avaient eux-mêmes déjà commencé à gratouiller donc le papier, on pouvait détecter que ça avait été touché, enfin on pouvait pas tout réparer. Alors par exemple, bon que faisait Suzie ? Elle avait fait les Beaux-Arts. C'était une fille d'une grande habileté, intelligente. Bon. Donc Nénuphar décolorait avec les... le nom par exemple d'une carte d'identité ou d'une... surtout d'une carte d'alimentation parce que... Et la couleur du papier avait changé et la structure, c'est-à-dire c'était devenu le papier était moins lisse. Donc elle recolorait avec des crayons de couleur, elle lissait avec un objet dur, avec l'ongle pour pas que ça boive l'encre avec laquelle on allait écrire. Bon c'était du bricolage, c'était... ça a sauvé des gens, c'était formidable mais moi je voyais les choses autrement, pour faire face à la demande.
  • Jean-Baptiste Pérétié
    L'objectif la plupart du temps à ce moment-là c'était de changer les noms de famille.
  • Adolfo Kaminsky
    Oui les noms de famille... Enlever le tampon « Juif ».
  • Jean-Baptiste Pérétié
    Enlever le tampon « Juif » et changer les noms de famille pour leur enlever leur consonance juive.
  • Adolfo Kaminsky
    Pas toujours changer. Quelquefois ça pouvait passer mais c'était rare, dans la majorité des cas y avait des prénoms typiquement juifs, Isaac, etc., enfin il fallait... Bon. Et puis c'était une question aussi de production. Les tampons étaient fabriqués dans du lino, à la main en gravant. Bon j'étais très habile mais c'est pas... il fallait utiliser les moyens pour accélérer les résultats, les rendre plus automatiques, plus authentiques, etc. Donc avec photo, photogravure, donc j'avais quelques notions mais il fallait trouver des raccourcis. Alors oui entre parenthèses très vite le laboratoire est devenu connu et j'ai rencontré à la demande de Loutre qui lui était le gestionnaire, comment il s'appelait, Cachou, Cachou qui était juif, mais qui était responsable du service faux papiers du Mouvement de libération nationale, MLN. Et il me dit : « Toi qui sais tout faire, c'était très flatteur quand on vient d'avoir dix-huit ans, est-ce tu peux faire un atelier de photogravure ». J'ai dit oui. Je savais que si j'avais dit non, on abandonnait le projet. J'ai dit oui, ça veut dire que ça m'a mis au pied du mur et obligé de faire face et de réussir. Alors j'ai dit oui mais je voudrais voir parce que le photograveur qui travaillait pour nous, pour eux plus exactement, voulait s'arrêter, il se sentait repéré, il avait un peu peur. Alors que je lui dis : « Je voudrais voir le photograveur ». Il me dit : « Très bien. Ben tu t'adresses à René Polski qui était son adjoint, il t'emmènera chez le photograveur demain ». J'ai donc été chez un monsieur Courmont, 156 rue Saint-Denis, et on me présente ce monsieur. Ce monsieur était Croix de feu, antisémite, un photograveur avec du personnel installé mais xénophobe donc anti-allemand aussi. Alors il avait fait des choses pour le Mouvement de libération nationale, mais il le faisait quand ses ouvriers partaient le soir. Et ses ouvriers étaient en général de même tendance que lui, d'ailleurs je les ai connus après la guerre. Et il se sentait... On avait vu qu'il se passait quelque chose quand l'atelier est fermé. Donc ça lui faisait un peu peur. Alors il me dit : « Oh mon ami, vous savez, la photogravure, il faut dix-sept ans. Vous êtes apprenti pendant deux ans, vous devenez petite main pendant tant de temps etc., au bout de dix-sept ans de métier vous êtes photograveur ». Je dis : « Mais il est pas question que je sois photograveur, je veux juste savoir une ou deux petites choses ». Bon, alors je lui ai raconté l'histoire de l'encre Waterman bleue et de l'acide lactique. Ça a complètement changé sa façon de voir, il m'a dit : « Bon ben écoutez, venez demain de telle à telle heure ». Donc je suis venu deux, trois jours comme ça pendant une heure, une heure et demie, et il m'a fait, bon il m'a montré, j'ai appris beaucoup de choses très vite, et il... parce qu'il était aussi professeur à l'école Estienne ce monsieur. Et il m'a fait une liste d'achats pour monter un laboratoire de photogravure à peu près équivalent au sien pour des millions et des millions. J'ai dit merci et je suis parti. Evidemment il était pas question de faire un atelier de photogravure. Alors j'ai été au marché aux puces, j'ai acheté une chambre en bois pour très peu d'argent, de mon argent à moi d'ailleurs, de ce avec quoi je devais payer le loyer, parce que... pour demander les fonds y avait du temps, enfin c'était assez administratif.