Jacques Nichet [05:55:31]

Un retour aux sources

  • Evelyne Ertel
    Donc on arrive à la fin pour toi du Théâtre de l'Aquarium, et justement au moment où tu éprouves le besoin de partir, comme tu dis, on te propose la direction d'un centre dramatique.
  • Jacques Nichet
    Oui oui, c'est tout à fait inopiné. Jérôme Savary claque la porte du centre dramatique de Montpellier, Georges Frêche est très désemparé, et tout d'un coup Robert Abirached qui est directeur des théâtres au Ministère de la Culture propose mon nom, et... Je suis montpelliérain, et Frêche dit : "Ben voilà une manière de m'en sortir après le départ de Savary. Je vais dire que je nomme un montpelliérain à la tête du centre dramatique. Et voilà, ça sera ça sera..." Il ne me connaît pas, ni Eve ni d'Adam. Il fait confiance à Abirached, et je me retrouve à la tête du centre d'art dramatique de Montpellier.
  • Evelyne Ertel
    Un peu un paradoxe, parce que le Théâtre de l'Aquarium avait refusé l'institution au départ qu'on vous avait proposé plus ou moins.
  • Jacques Nichet
    Oui, à une époque, effectivement, à l'époque où Michel Guy avait nommé Bruno Bayen à Toulouse, Daniel Benoît à Saint-Etienne, en duo avec un autre metteur en scène, nous-mêmes on avait refusé. On n'était pas du tout partant. Mais là, d'une certaine manière, je sentais que l'aventure collective s'arrêtait, et c'était soit arrêter définitivement le théâtre, soit prolonger, et... j'ai eu le... cette opportunité, je l'ai choisie. Ce qui m'a éloigné d'ailleurs de l'université de Vincennes, où j'ai enseigné depuis 69 jusqu'à 85. Et donc à partir du 1er janvier 86, j'arrive à Montpellier. Alors pour moi c'est forcément un changement de répertoire, puisque je n'ai plus de troupe, je n'ai donc plus l'appui d'un... d'un collectif qui pouvait aller de spectacles en spectacles. Je suis obligé de réinventer mon propre répertoire en partant de... Alors je suis parti de l'idée très simple que j'étais méditerranéen, que... je revenais à Montpellier, que la culture méditerranéenne je savais finalement pas très bien ce que c'était, et que ça serait l'occasion de découvrir d'où je venais, finalement.
  • Evelyne Ertel
    Tu revenais à Montpellier où tu avais fait tes études ?
  • Jacques Nichet
    Voilà. J'étais originaire de Montpellier... enfin, je suis né à Albi, mais j'étais originaire de Montpellier. J'ai passé toute mon enfance à Montpellier, ensuite j'étais pensionnaire à Paris à partir de la classe de seconde, mais enfin je restais en contact régulièrement avec Montpellier où vivaient mes parents. Donc j'ai d'ailleurs habité chez mes parents pendant que ma femme était restée à Toulouse. Voilà. Et pendant douze ans j'ai fait des va-et-vient entre Toulouse et Montpellier pour pouvoir diriger ce centre dramatique, sauf le... sauf le week-end.
  • Evelyne Ertel
    Qui s'étendait sur plusieurs villes, d'ailleurs.
  • Jacques Nichet
    Alors... ben c'est toujours... un centre dramatique s'occupe toujours d'une région. Donc là c'était la région Languedoc-Roussillon ; c'était cinq départements, les cinq départements du Languedoc-Roussillon. Donc... c'est énorme, d'ailleurs, comme volonté, d'essayer d'aller dans un département où quelquefois il n'y avait pas de théâtre. A Narbonne, il n'y avait pas de théâtre ; à Sète, le théâtre s'ouvrait à peine, se réouvrait à peine ; à Perpignan, ils étaient plutôt sur les galas Karsenty, ça ne les intéressait pas trop le centre dramatique national, etc. Donc une aventure de pionnier. D'ailleurs en arrivant à Montpellier, je me suis dit : "mais le centre dramatique national, c'est l'Aquarium ! C'est pas Montpellier." Montpellier, j'arrivais dans un théâtre qui était une sorte de... cinéma de banlieue, une toute petite scène, aucun espace pour les bureaux, rien du tout, enfin... C'était beaucoup moins bien finalement que l'Aquarium, qui lui était peu subventionné, là il y avait des subventions, mais il n'y avait pas vraiment de théâtre. Il se trouve que Jérôme Savary l'avait dirigé à partir de Paris, et il avait fait ouvrir un théâtre à Montpellier, mais c'était une salle de répétition en fait, qu'on avait appelée théâtre. Il y venait pour répéter, jouer ses spectacles, et après il repartait à Paris. Moi j'arrivais avec un désir de pionnier, c'est-à-dire de, de vraiment faire de la décentralisation, de rester vraiment, ce qui est d'ailleurs dans le contrat, de rester vraiment sur place, et de faire un travail de terrain à la manière de Jacques Echantillon, qui avait été le deuxième directeur du centre dramatique, juste avant Jérôme Savary.
  • Evelyne Ertel
    C'est là que tu l'as rencontré ?
  • Jacques Nichet
    C'est après. Quelques temps après, j'ai voulu monter, comme un des premiers spectacles, Le Rêve de d'Alembert de Diderot, parce que le Docteur Bordeu était originaire de Montpellier, était un des médecins du roi... du roi, mais était... était médecin de Montpellier, originaire de Montpellier. Et en hommage à la faculté de médecine de Montpellier - mon père étant à la faculté de médecine - j'ai voulu prendre ce grand texte de philosophie. Et Jacques Echantillon ressemblait extraordinairement à d'Alembert, d'après le portrait que j'avais vu de De La Tour, et donc effectivement, quand il a mis la perruque, j'ai cru voir d'Alembert devant moi. C'était un moment magique pour moi. Et on a donc joué un texte, un grand texte philosophique. Je m'éloignais carrément de ce que j'avais fait à l'Aquarium, et ça me faisait plaisir de passer six mois de ma vie avec Diderot.
  • Evelyne Ertel
    Et ça n'est pas le spectacle inaugural ?