Jorge Lavelli [03:30:17]

Présenter «Le Mariage» de Gombrowicz

  • Dominique Darzacq
    Vouloir passer le concours des jeunes compagnies, c'était que vous aviez l'intention de rester à Paris ? Vous ne vouliez plus éjà retourner en Argentine ?
  • Jorge Lavelli
    C'est-à-dire que je n'étais pas très sûr, mais en tout cas je suis quelqu'un qui veut aller jusqu'au bout de ce projet. Je pouvais pas... Alors il y a plusieurs personnes qui me sollicitaient ; on me disait : « il faut que tu travailles, il faut tu trouves le moyen, il faut que tu trouves...» Enfin il faut dire que les conditions de travail à cette époque, elles étaient pas comme aujourd'hui. Ça dire il n'y avait pas vraiment ni de jeunes compagnies indépendantes qui pouvaient travailler comme le Théâtre Indépendant que j'avais vu pratiquer, mais je ne pouvais pas faire ça non plus parce que il fallait quand même subsister, survivre. Donc une année de bourse, plus une année de prêt qui m'avait été confiée aussi, de prêt du fond national des arts d'Argentine ; et puis je me suis mis à faire toutes sortes de travaux, de petites choses, des paquets dans une librairie. Et puis j'écrivais des émissions pour la radio, dont on m'avait dit que la radio produisait, pour l'Espagne et pour les pays d'Amérique latine ; alors donc c'est peut-être une possibilité. Alors je suis allé voir les gens, ils m'ont dit : « Ah oui, bien sûr !» Il y a quelqu'un qui me connaissait, qui avait entendu parler de moi, qui m'avait vu à Buenos Aires, qui savait qui j'étais. « Mais vous pensez...» - « Je pense tenir le coup.» Je sais pas... Voir comment je peux faire. Si je présente ce projet, et s'il est accepté alors donc je, j'irai jusqu'au bout, évidemment.
  • Dominique Darzacq
    Donc vous préparez le concours des jeunes compagnies en 1963. Ça veut dire quand même que vous allez très vite.
  • Jorge Lavelli
    J'ai commencé une année plus tôt, j'avais connu Krystyna Zachwatowicz, qui était ma collaboratrice, qui a été ma collaboratrice après, pour plusieurs pièces, qui est une fille absolument géniale, et qui en même est toujours scénographe et réalisatrice et conceptrice de costumes, et qui m'avait dit, à un moment donné : « Il y a un auteur très important et qui un polonais, mais que tu devrais connaître peut-être : c'est Gombrowicz.» Je dis : « Ah oui ! Gombrowicz, évidemment, il a vécu...»
  • Dominique Darzacq
    Vous le connaissiez en Argentine ?
  • Jorge Lavelli
    Je le connaissais de nom. Et j'avais connu, j'avais lu une pièce de lui, comme ça. Mais j'avais comme une espèce de souvenir un peu lointain d'une pièce, qui s'est avérée être Le Mariage d'ailleurs. Alors elle me dit : « parce que il y a un ouvrage, paraît-il, quelqu'un, je sais pas qui, avait dit que cette pièce avait été envoyée à Barrault, par l'intermédiaire de Camus.» Alors effectivement... Et Jelenski, qui était un spécialiste de Gombrowicz, un grand ami et un défenseur de Gombrowicz, un intellectuel extrêmement raffiné, il était un peu dans le groupe de ces polonais. J'ai connu beaucoup de polonais autour de moi. Et donc j'ai vu ces manuscrits avec une lettre de Camus, qui disait : « j'ai été impressionné par la lecture de cette pièce et je t'envoie, Jean-Louis, ce manuscrit ; peut-être tu peux en faire chose.» Je sais pas, une chose comme ça. Et effectivement j'ai lu cette pièce. Elle était pas bien traduite, elle était traduite par quelqu'un, c'était une femme qui était prof de français à Buenos Aires, et certainement une amie de Gombrowicz, et elle lui avait fait le service de la traduire. Mais c'était un mot à mot, et c'est très difficile d'imaginer une pièce comme Le Mariage, aussi complexe que ça, comme un mot à mot. Mais j'ai détecté tout de suite des choses que j'adore, et immédiatement.
  • Dominique Darzacq
    C'est-à-dire ?
  • Jorge Lavelli
    C'est-à-dire la construction musicale d'un texte, et puis une sorte de tension, de force, qui avait besoin, qui nécessitait évidemment une énergie véritable pour s'exprimer, et puis quelques idées de l'auteur, qui dépassaient totalement le naturalisme et qui entrait dans le sens de la transgression, je dirais, des idées, et aussi dans la tradition intellectuelle ; quelqu'un qui n'était pas formel et qui, en même temps, avait l'esprit suffisamment libre pour donner une dynamique à une pièce de théâtre - c'est comme ça que je l'avais compris,- qui pouvait se métamorphoser en cours de route. Donc toute une ère de liberté qui me convenait, mais totalement.
  • (Musique)